Paris, le 30 décembre 1982
Cher Thierry,
Tout d’abord : Bonne Année… et tout… et tout…
J’ai lu tes deux articles [1]… Je suis bien d’accord sur les problèmes de la série… Il n’y a que ça qui marche ! nous le savons… Un album isolé a beaucoup moins de chance de sortir du lot. La série est donc essentiellement commerciale et pour le dessinateur (certains dessinateurs qui n’ont fait que ça durant toute leur carrière) la porte ouverte à une forme de fonctionnariat. OK ! Mais pourquoi ? Pourquoi le succès du feuilleton ? Les aventures de… avec effectivement un certain nombre de personnages qui entourent le héros ou lui piquent ses effets ? C’est bien le public qui fait le succès de la série et qui n’est pas content quand le héros meurt ou change de pantalon ! Le public… avec ses habitudes… habitudes de lectures… éperdu d’habitudes en tous genres… l’heure de son feuilleton TV… l’heure de son émission à la radio, etc. Le point de départ du feuilleton, de la série, c’est : l’habitude !
J’aurais aimé, cher Thierry, que tu insistasses sur ce point… ton article est quand même pas mal, avec plein de citations, Freud, etc… (humour !)
Pour ce qui est de l’esthétisme, la belle image, etc., nous sommes bien d’accord… Nous en avons déjà causé. L’histoire d’abord, le beau dessin c’est pour les posters… Druillet épinglé au mur… de l’illustration… des petites fleurs… des couchers de soleil ! du Lelouch… Pas question de faire joli… mais il y a la tentation, c’est vrai. Les temps forts d’une histoire peuvent effectivement être prétextes à une ou à des images privilégiées parce que comptant généralement au niveau de l’action, violence, jets de sang, etc. Donc esthétisme et mort du méchant. Idem pour les lieux. Le pire, c’est lorsqu’un scénariste fabrique une histoire en fonction de ce qu’aime – ou sait – dessiner tel dessinateur spécialiste des monstres ou des automobiles. Alors là, il y a quelque chose qui cloche ; je connais aussi des dessinateurs qui modifient le scénario en donnant de l’importance à tel élément qu’ils ont du plaisir à dessiner mais qui n’a aucune importance dramatique dans l’histoire… Une grande image pour la lampe à pétrole au premier plan, et une toute petite image pour la charge de cavalerie décisive où l’on voit Napoléon remporter la victoire à Marengo…
Je crois que la taille des images est importante aussi. Pourquoi un gros plan de tel personnage à ce moment-là du récit ?… Ouverture sur un nouveau lieu qu’on découvre, etc. Images horizontales pour les bords de plage et verticales pour la Tour Eiffel… Pour ma part je suis très attaché à cette symbolique…
Je crois que ce genre d’article serait intéressant s’il était illustré des erreurs à ne pas commettre et des bons exemples… Peut-être scolaire à ce moment-là ?
Continue, fais-en un livre !
A bientôt,
TARDI