le site de Thierry Groensteen

Alex Barbier

Fillols, le 26 janvier 1990

Cher Thierry Groensteen,

Ce matin, je vous ai entendu sur France Culture moucher le parasite bien connu Moliterni et, un peu plus tard, je vous retrouve dans le Monde pour votre chronique habituelle, renforcée, actualité oblige. Or, je lis toujours attentivement vos articles et livres, qui me semblent être les seuls sérieux dans le monde de la BD.

Je me permets de vous écrire car il y a quelque chose que vous semblez ignorer à mon sujet : s’il n’y a plus de livres portant ma signature dans les librairies depuis assez longtemps, ce n’est pas dû à une quelconque lassitude de ma part pour ce mode d’expression, ni au fait que je préfèrerais maintenant la peinture. Si en effet ma principale activité est maintenant la peinture, j’ai toujours quelque chose à dire par la BD, et en ce moment même, je brûle de m’y remettre. Seulement j’ai, dans mes cartons, deux BD de cinquante pages, entièrement terminées, et ce depuis cinq ans, qui n’ont jamais trouvé d’éditeur.

Après la disparition ou la vente de Charlie mensuel à je ne sais qui, aucun éditeur n’a souhaité publier mes œuvres. Je les ai à peu près tous faits. Tous ou presque trouvent mon travail « excellent », mais le mot veut peut-être dire autre chose à mon insu, en tout cas quelque chose les effraie, les décontenance, certains sont incapables d’en lire une ligne, une page, a fortiori cinquante, et le résultat est toujours le même : niet !

A force, cela fatigue, d’autant plus que j’avais la faiblesse de penser que ces deux bandes étaient ce que j’avais fait de plus abouti. Le milieu de la BD m’apparaît volontiers désormais comme un monde mongoloïde, peuplé de petits marquis, et dominé, par dessus la tête de faux rédacteurs en chef, par le comptable.

Actuellement, l’une de mes bandes se trouve au 10, rue des Trois Portes, où peut-être une opportunité se dessine cette année, pendant que l’autre est chez une personne qui prospecte pour moi chez de petits éditeurs.

Un éditeur de New York m’a contacté pour traduire mes livres. Ce serait piquant d’être publié aux Etats-Unis avant de l’être chez moi, mais les choses étant ce quelles sont…

Voici ces quelques explications, cher Thierry Groensteen, qui vous confirmeront sans doute qu’en effet la BD est en panne [1].

Bien à vous,

Barbier

Notes

[1En janvier 1994, sur l’initiative de Lauzier, président du Festival d’Angoulême, le CNBDI consacra une exposition à Barbier, dont j’assurai le commissariat. A cette occasion un portrait vidéo fut tourné à Fillols, le village où réside l’artiste, et je convainquis Delcourt de publier l’un des albums inédits évoqués dans la lettre : Les Paysages de la nuit.

Contact | Plan du site | RSS 2.0 | SPIP