s.d. [2005]
Cher Thierry,
J’ai lu ton texte [1] très attentivement et avec un grand régal, quand bien même je n’ai pas tout compris. Je suis toujours frustré par ces textes (j’en suis à la 5ème thèse ou maîtrise écrite sur mon travail) car je suis passionné par la linguistique mais j’ai arrêté au BEPC, ce sont choses totalement incompatibles.
Il y a déjà deux choses dont il faut tenir compte quand on parle de la Rubrique-à-Brac. Surtout celle que tu as choisie et qui n’est pas la plus simple pour disserter à son propos.
D’abord : toutes les fois où l’on parle de la R-à-B, il faut que la personne à qui l’on s’adresse ait une connaissance de l’antériorité de la série. Si les types (en l’occurrence, les gens devant qui tu prononceras cette conférence) se trouvent devant la R-à-B pour la première fois, c’est sûr qu’ils vont se demander : qu’est-ce que c’est que ce truc, pourquoi une coccinelle, pourquoi un fou qui repeint son plafond ? Tous ces thèmes récurrents devant lesquels le lecteur qui connaît la R-à-B depuis le début ne sera pas dépaysé. Il m’est arrivé un truc dramatique avec l’album La Bataille navale ou Gai Luron en slip, car pour piger l’album il fallait avoir les références des dix premiers, parus dans Vaillant/Pif il y a 35 ou 40 ans. Résultat : 43 albums vendus et 42 retours.
Le deuxième truc concernant cette R-à-B, c’est qu’elle s’incluait dans un thème général choisi à l’issue d’une réunion hebdomadaire pour les pages d’actualités. Ce thème était Love Story qui venait de sortir et dont tout le monde parlait, notamment à cause de ce côté pleurnichard (je ne l’ai pas vu).
Si on tient compte de ces deux éléments, certaines observations ou questions que tu te poses dans ton texte trouvent tout naturellement une réponse.
J’ai également noté (mais tout ça est très subjectif) une tendance au délire – pour employer des grands mots – d’interprétation, comme le sens caché que j’aurais donné à Blaise Pascal, dont je ne connais même pas une ligne de l’œuvre (sauf le pari de Pascal mais c’est grâce à Prévert). Tu questionnes : « Qui m’assurera que Gotlib n’a pas sciemment introduit ici une référence à Blaise Pascal ? » Je peux répondre à ta question : « Moi ». D’ailleurs tu prends toi-même les devants en avouant que « je me méfie de ma propension à en trouver partout (des citations) … et de pousser à la surinterprétation ».
Mais tout ça, c’est histoire de causer car en fait j’ai l’habitude de ces petits trucs qui sont des péchés véniels. Quand Numa Sadoul a écrit son livre sur moi en 1973, il m’assurait que le héros de l’histoire Œdipus Censorex que je poignardais n’était ni plus ni moins que Goscinny. Il trouvait que je l’avais dessiné exactement pareil. J’avais beau dire que non (et à l’époque, j’étais très branché psy), il me l’assurait, il m’aurait donné des coups de marteau sur la tête pour que je sois d’accord.
Et puis la grande question, page 8 : « En définitive, est-elle drôle ou pas drôle, cette "histoire désopilante" ? » Et là, on revient au début de cette dissertation : elle est drôle pour le gars qui est un RaBologue averti et elle n’est pas drôle pour celui qui entre en R-à-B pour la première fois avec ces deux pages.
Je pense être d’accord, toutefois, avec le fait que je « revendique la BD comme littérature mineure, relevant d’une culture populaire, et située dans un rapport d’altérité avec la culture officielle, celle des lettrés, des dominants » mais il aurait peut-être fallu ajouter (et là, c’est de la psychanalyse mais je la revendique et l’assume totalement), il aurait fallu ajouter que si je revendique la BD comme littérature mineure, c’est peut-être pour cacher le regret de mes manques dans la Grande Culture. Comme quand Gainsbourg clamait que la chanson était un art mineur, alors qu’on sait qu’il aurait rêvé d’être peintre ou architecte.
(...)
Et enfin : "syncrétisme", ça veut dire quoi ? C’est pas injurieux, non ?
Bonne conférence et merci de m’avoir envoyé ce texte.
Gotlib