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Blutch : La Volupté

Circonstances

Christian Hincker, dit Blutch, est né à Strasbourg en 1967. Formé aux Arts décos de sa ville, il intègre l’équipe de Fluide glacial en remportant un concours. Il y créera successivement les personnages de Mademoiselle Sunnymoon, Blotch et Le Petit Christian. En 1996, (À Suivre) publie une version mutilée de son Péplum, qui sort en album l’année suivante chez Cornélius. Pour cet éditeur, il développe des projets plus expérimentaux comme Lettre américaine et la série des Mitchum. À partir de 2000, il collabore régulièrement au magazine Jazzman. Les éditions Dupuis l’accueillent dans la collection "Aire Libre" avec le déconcertant Vitesse moderne en 2002. Blutch trouve ensuite chez Futuropolis un espace de création au sein duquel il peut faire des livres atypiques comme, en 2006, La Volupté. Mais c’est chez Dargaud qu’il signe Pour en finir avec le cinéma puis Lune l’envers en 2014.
Dessinateur virtuose, point de mire de toute une génération, Blutch développe une œuvre protéiforme que Cornélius situe à juste titre à mi-distance « entre classicisme et radicalité ». Il reçoit, en 2009, le Grand Prix de la Ville d’Angoulême.

Argument

Un animal s’est échappé on ne sait d’où (d’un zoo ? d’un cirque ? de chez un particulier qui le retenait en captivité ?). Les autorités le traquent, avec le concours des chasseurs de la région. L’objectif est manifestement moins de s’assurer du fugitif que de l’abattre... comme un chien. Or il s’agit d’un chimpanzé, qui s’introduit dans les maisons, et plus particulièrement dans les chambres des jeunes femmes endormies nues, dont il lorgne, sans vergogne, l’intimité.
Pendant ce temps, ailleurs ou plus loin, deux petites filles cherchent à attraper un renard, dans le but de l’apprivoiser. Séverine, la jeune maîtresse de leur père, semble chargée du soin de leur éducation. Une autre jeune femme, Farrah, fait du baby-sitting : elle garde Bouly, le fils d’une grande bourgeoise.
Le personnage qui traverse tout le livre est Yvon, collaborateur du « Président », auquel celui-ci a fait une mauvaise farce en l’abandonnant en rase campagne. Après avoir beaucoup marché, Yvon finit par regagner son domicile. On découvre alors que la mère de Bouly est sa femme, ou sa maîtresse. Mais celle-ci a profité de son absence pour l’évincer au profit... d’un lion. Yvon se réfugie, nu, sur le balcon de son appartement. Deux chasseurs, qui passent justement par là, l’ajustent et le blessent ; ils le poursuivent à travers la ville et finissent par l’abattre. Tout le monde voit en lui « un singe féroce », « une horrible bête », personne ne reconnaît que la victime expiatoire appartient au genre humain.

*

Il y a une princesse endormie, des chasseurs, une forêt. S’agirait-il d’un conte [1] ?
Il y a des animaux : un singe, un renard, un lion. S’agirait-il d’une fable ?
Il y a ce titre : La Volupté, qui promet un récit leste, une bande dessinée « pour les grands ».
Il y a un relais qui s’opère avec le titre du livre précédent, C’était le bonheur (septembre 2005) comme avec celui du livre suivant, La Beauté (janvier 2008). Bonheur, Volupté, Beauté : Blutch se mesure aux promesses de la vie et aux concepts philosophiques. S’agirait-il d’un traité ?

Il y a tout cela, et ce tout fait un ouvrage décalé, insituable. Un album non conventionnel, étrange dans sa forme, dérangeant dans son propos. L’indétermination règne quant au genre dont il relève. Le rapport entre le titre et l’image de couverture – un chimpanzé – est tout sauf évident. La quatrième de couverture, elle, est blanche, ne proposant ni extrait, ni résumé, ni présentation d’aucune sorte. Rien qui guide le lecteur, rien qui vienne réduire le caractère énigmatique de cette proposition livresque.

La Volupté a paru en septembre 2006 aux éditions Futuropolis. Le livre compte 108 pages et se compose de seize séquences d’inégale longueur (entre 1 et 13 pages), plus un prologue et un épilogue.
Après un sommeil d’une quinzaine d’années, la marque Futuropolis a été relancée l’année précédente par Antoine Gallimard, qui s’est associé à Soleil Productions et a recruté des éditeurs venus de chez Dupuis. Dans ce nouvel espace de création, Blutch semble avoir carte blanche.
Son album Vitesse moderne (paru en 2002, chez Dupuis, précisément) a inauguré une veine que l’on qualifiera de surréaliste – je reviendrai naturellement sur cette épithète.

Vitesse moderne se laisse difficilement résumer. On y suit deux jeunes femmes, Lola et son amie, dont la journée ordinaire bascule dans une sorte de folie hallucinatoire. Elles croisent d’improbables personnages (célèbres comme Omar Sharif, fictif comme le père de Lola, à la sexualité quelque peu extravagante, et que sa propre fille hésite à reconnaître), elles s’invitent dans des soirées décadentes, elles déambulent dans un Paris tantôt plongé dans l’obscurité et le silence, tantôt noyé sous les eaux...
À la lecture, on songe parfois à David Lynch, ou bien encore à Godard, dont Blutch fera l’un de ses personnages dans Pour en finir avec le cinéma. À l’instar d’un film comme Mulholland Drive, Vitesse moderne conserve sa part de mystère et comporte des images qui « semblent émerger de la nuit obscure du monde de l’inconscient » – comme l’écrivait, à propos du film, le critique du New York Times, A.O. Scott.
S’agit-il d’un rêve ? L’indice le plus explicite invitant à cette interprétation est l’illustration de couverture, qui montre les deux jeunes femmes endormies sur la banquette arrière d’une voiture, image qui ne correspond à aucune scène du récit et qui peut donc s’interpréter dans le sens d’une indication générique. On sait que, depuis toujours, le rêve apparaît comme un subterfuge commode qui débride l’imagination et donne licence à toutes les fantaisies. Au lieu du canonique « Ce n’était qu’un rêve ! », dénouement commode de quantité de fables marquées du sceau de l’extravagance, Blutch semble nous suggérer : « Ce serait un rêve... » ou bien, à la façon des enfants, « On dirait que ce serait un rêve... »
Un procédé récurrent, dans Vitesse moderne, est le franchissement d’une porte ou d’une tenture qui ouvre sur un décor ou une situation inattendus. On en trouve des exemples aux pages 36-37, 40-41, 42, 48, 56, 71, et ces passages d’un espace à l’autre semblent chaque fois métaphoriser un glissement du conscient vers l’inconscient.
Un autre motif dont il est possible de faire une lecture symbolique est celui de l’araignée – presque certainement une réminiscence de L’Etoile mystérieuse, d’Hergé. Beaucoup d’interprétations différentes peuvent être rattachées aux arachnides, mais selon le psychanalyste et onirologue Tristan-Frédéric Moir, l’araignée symbolise notamment les pensées parasites qui envahissent le mental du rêveur. Elle vit dans les zones d’ombre du psychisme, encore inconnues de la personne qui rêve.
Chez Blutch, elle semble incarner une forme de déraison, même si l’auteur a expliqué qu’elle personnifiait « ce qui pèse à Lola », en particulier ses parents, et que la jeune femme se libérait de leur joug en l’écrasant.
Vitesse moderne est un album dont l’interprétation reste ouverte. C’est sans doute l’un des premiers livres de bande dessinée à mobiliser les forces de l’inconscient, sans les précautions et travestissements d’usage. Depuis cet album, c’est-à-dire depuis une douzaine d’années, les forums sur Internet en témoignent, nombre de lecteurs de Blutch se disent égarés, décontenancés par les œuvres que signe désormais l’auteur de Blotch et du Petit Christian.

J’ai utilisé l’épithète « surréaliste » parce que c’est ainsi que nombre de critiques ont qualifié Vitesse moderne, et plus récemment Pour en finir avec le cinéma ainsi que Lune l’envers. Le terme revient désormais dans la presse comme une antienne. Chacun sait qu’il est suspect, trop souvent employé dans son acception la plus vague, comme un simple synonyme de bizarre, incohérent ou délirant. Mais Blutch est loin de le réfuter. Il confesse : « Le surréalisme m’a familiarisé avec ce qui n’a pas de sens. L’irrationnel. Il m’a donné le goût de l’insolite, de l’incongru, du dissonant [2]. »
Blutch dit aussi d’Alain Resnais, avec lequel il a collaboré sur les derniers films, qu’il est « un surréaliste » [3]. Le surréalisme serait-il le terrain de rencontre entre le cinéaste et le dessinateur ?

Krazy Kat, le chef-d’œuvre de George Herriman, fut la première bande dessinée à être taxée de surréalisme, quoiqu’elle précédât le mouvement d’une décennie. Son jeu sur le paysage, en constante métamorphose, son approche très personnelle de la mise en page, l’indétermination de l’identité sexuelle du personnage titre, tels sont les éléments invoqués à l’appui de cette qualification.

Beaucoup d’autres bandes dessinées se caractérisent par leur dimension fantasmatique et paraissent ressortir du monde du rêve, même si les marqueurs explicites du rêve (l’endormissement et/ou le réveil) sont absents. Il arrive que cette forme de surréalisme paraisse laborieuse, forcée, trop ostensiblement bricolée, qu’elle relève de cet « idéal de brocanteur » dans lequel le plasticien Jean-Paul Marcheschi voit l’apport du mouvement d’André Breton à la peinture [4]. Cependant, cette veine « fantasmatique » a aussi inspiré des œuvres d’une grande force poétique. Il suffit de penser à des auteurs tels que Fred, Forest, Moebius, Jim Woodring, Marco Turunen, Suehiro Maruo ou Carlos Nine. Il faudrait examiner, au cas par cas, ce qui, dans les images frappantes que les uns et les autres ont produites, relève de cet « automatisme psychique pur », de cette « dictée de la pensée en l’absence de tout contrôle exercé par la raison » que le premier Manifeste, en 1924, donnait comme la définition même du surréalisme. Mais il faut reconnaître que c’est un privilège du récit dessiné, nullement contraint par le réel, d’obéir aux pulsions graphiques, de favoriser l’expression fidèle et immédiate des visions irrationnelles nées de l’inconscient et de l’imagination. Et non seulement de les incarner, mais aussi de les mettre en situation de s’auto-entretenir par le jeu infini des métissages et des métamorphoses graphiques. En ce sens, oui, le surréalisme, au sens d’activité racontante fondée sur l’association libre, peut trouver dans la bande dessinée un terrain d’élection.

La bande dessinée est un médium narratif, encore largement assimilé à une littérature de divertissement et qui a repris à son compte les genres et poncifs du roman populaire, un médium où règne ce que d’aucuns ont pu appeler la « tyrannie de l’intrigue ». Toute forme d’entorse aux règles implicites du récit traditionnel heurte les attentes d’une grande partie des lecteurs, trouble, déconcerte, voire suscite le rejet. Il est vrai, toutefois, que la forme extérieure de l’œuvre, son habillage, l’objet dans lequel elle s’incarne est de nature à orienter ces attentes, en connotant un plus ou moins grand classicisme ou, au contraire, une démarche plus expérimentale. De ce point de vue, la réception de Vitesse moderne a très certainement pâti du fait que le livre s’inscrivait dans la collection "Aire libre". Sur leur site, les éditions Dupuis présentent la collection en ces termes : « Des livres prestigieux, réalisés par les meilleurs auteurs de bande dessinée actuels, qui placent l’Homme au cœur de leurs récits et de leurs dessins. » L’accent est expressément mis sur la dimension humaniste des fables proposées. On comprend que le « message » délivré, et singulièrement le respect voire la promotion de certaines valeurs, l’emporte sur les préoccupations proprement artistiques, et qu’un certain classicisme de la forme est ici de mise. Dans une telle collection, le livre de Blutch, résolument atypique, était-il recevable ? Le format de La Volupté, et sa pagination, situent mieux l’ouvrage comme une œuvre d’auteur.
Un autre aspect qui détermine la manière dont le lecteur appréhende le livre qui lui est proposé est la façon dont le dessinateur négocie avec les paramètres de ce que j’ai appelé ailleurs le système spatio-topique, autrement dit l’appareil des planches, des cases et des bulles ou, pour parler simplement, le dispositif. Au feuilletage, on voit tout de suite que Vitesse moderne se présente, sous cet aspect, comme une bande dessinée d’apparence classique, avec une division des pages en trois bandes respectée tout au long des 76 planches. La Beauté est, au contraire, un recueil d’images en pleine page, une sorte d’art book qui ne fait pas usage du multicadre typique de la bande dessinée. À mi-chemin entre ces deux modèles, la série des Mitchum (cinq petits albums chez Cornélius entre 1996 et 99, puis une intégrale en 2005) conserve le découpage séquentiel et le multicadre ; cependant les images, dans les deux premières livraisons, ne sont pas encadrées, mais en suspension dans le blanc de la page. La troisième réintroduit le cadre ; la quatrième est celle où l’espace est le plus déconstruit, notamment dans la séquence où une danseuse semble évoluer par-dessus les images qui constituent la planche proprement dite. La cinquième revient au dispositif des deux premières.
Il se voit au premier regard que La Volupté n’est pas un album classique. Les vignettes ne sont pas encadrées, seules les hachures exécutées au crayon les dote d’une forme, le plus souvent irrégulière. La technique du crayon est, en elle-même, peu fréquente, d’autant que Blutch utilise un crayon noir et un crayon rouge et que son dessin conserve la vivacité de l’esquisse. C’est un dessin qui fait des impasses volontaires, qui reste souvent dans l’imprécision. Ainsi le garçon du prologue n’a pas véritablement de mains, ni de pieds, pas plus que le « Président » (pp. 10-15) n’a d’oreilles.
Sous le dessin, une esquisse plus légère, abandonnée, apparaît quelquefois (cf. pp. 16 et 18), que Blutch a sciemment négligé de gommer, comme pour manifester le processus d’émergence des images par tâtonnements, corrections et reprises. Rarement dessinateur aura rendu si visible ce que Philippe Marion a nommé la graphiation, c’est-à-dire la part autoréférentielle de l’énonciation graphique, la trace du geste de son exécution.

© Futuropolis

Du rouge, couleur du sang et de l’éros, on peut observer qu’il oscille ici, suivant que le dessinateur appuie plus ou moins sur la mine, entre un rose pâle qui irréalise les scènes et une sorte de carmin plus inquiétant.

À la lecture, il apparaît qu’en dépit de ces singularités, l’album ne contrevient pas aux règles élémentaires de la narration dessinée. Le découpage est fluide ; le rythme, particulièrement travaillé, est toujours juste ; l’œil ne se perd jamais dans les compositions. Mais d’autres procédés sont nettement plus atypiques, et de nature à déconcerter les lecteurs habitués aux récits plus traditionnels.
Ainsi, le nombre de pages muettes, sans aucun énoncé verbal, est assez élevé, puisque j’en ai dénombré dix-huit. Le prologue et l’épilogue se répondent (prologue : un garçon plonge dans ce qui semble un lac ou une rivière, sollicitant l’attention de son père ; épilogue : il réclame une appréciation sur son plongeon) mais ils n’entretiennent aucun lien direct avec le récit principal, dans lequel ce garçon ne joue pas le moindre rôle. (Même si, comme l’a suggéré Dominique Radrizzani, ce prologue peut métaphoriquement désigner le plongeon dans l’histoire, dans la mare aux fantasmes... [5])Et puis il y a les interventions du récitant, qui se confondent ici avec de simples indications de régie portant sur le lieu ou le temps de l’action, et qui se révèlent étrangement vagues et répétitives.
En effet, une fois passé l’épilogue, la première planche s’ouvre par les mots : « Sur une route de France... » qui laisse les coordonnées géographiques de l’intrigue pour le moins imprécises. On comprend vite que l’homme de pouvoir transporté à bord de la voiture préside un Conseil général, mais de quel département ? Mystère [6].
Dans la suite du livre n’intervient plus qu’une seule indication, toujours la même et tout aussi imprécise : « Plus loin ». Ces deux mots sont répétés quinze fois, assurant les transitions entre les scènes et entre les différents lieux de l’action : sur la route, dans la forêt, dans les champs, dans des pièces habitées (chambre-à-coucher, salle de bain, salon), dans un parking, en lisière de la ville, dans un parc, dans la rue.
L’ambivalence de cet énoncé, plus loin, doit être soulignée. On est, chaque fois, sans doute, plus loin dans l’espace – mais plus loin par rapport à quoi, à quel point de départ ? Ailleurs aurait mieux convenu. Mais sans doute plus loin doit-il s’entendre aussi dans le sens de plus loin dans le livre, plus loin dans le cours de la fiction. C’est plus loin en lieu et place de plus tard. L’indication guide le lecteur vers l’aval, le pousse à tourner les pages. Elle agit comme la flèche dans S.E.N.S., de Marc-Antoine Mathieu (éd. Delcourt, 2014). Le livre entier, on s’en souvient, est l’« histoire » d’un homme qui suit une flèche (ou plus exactement une succession de flèches) avec obstination, de la première à la dernière page, bravant tous les obstacles, suivant tous les méandres d’un véritable jeu de piste, et dont le parcours métaphorise celui du lecteur qui traverse le livre de part en part, sur ses talons.
Chez Blutch, la voiture rouge mise en exergue au début du récit est elle-même comme une promesse d’être conduit plus loin.
Le « plus loin » de La Volupté rejoint un petit nombre d’autres chevilles linguistiques mémorables. Je pense aux « PUIS » chez Chris Ware, souvent écrits en lettres d’une taille inversement proportionnelle à la brièveté du mot, ou aux « Soudain » dont les auteurs Claire et Jake font un usage hilarant dans la série des Francis (éd. Cornélius).
Mais « plus loin » scande la lecture de La Volupté à la manière d’un refrain. Le caractère exclusif et lancinant de l’énoncé crée un effet poétique qui n’est pas sans faire songer au corbeau d’Edgar Allan Poe répétant inlassablement « Nevermore » (jamais plus).

Trois animaux jouent un rôle dans La Volupté. Aucun n’accède à la parole. On peut se demander si chacun d’eux revêt une fonction symbolique précise.
Le renard, tout d’abord. Il est traditionnellement associé à la flatterie, au mensonge, à la malice et à la ruse, et les fabulistes en ont souvent fait un médiateur entre l’homme et la nature. Peut-être Blutch a-t-il plutôt pensé au tableau de Gauguin La Perte du pucelage – également connu sous le titre L’Éveil du printemps (1890) – dans lequel le renard, qui pose sa patte sur la poitrine de la femme nue allongée, symbolise la concupiscence.
Les deux fillettes cherchent à l’attirer avec un mannequin, un leurre. Elles ont disposé des habits à elles sur un rocher, avec une tête de poupée. Mais, assure Séverine, « les renards, ils s’en fichent des petites filles » (p. 24). Pourtant, quand elles seront parties, le renard sortira de son terrier et semblera bien engager un dialogue muet avec la tête du poupon en celluloïd (p. 47). Le père révèle plus loin (p. 61) qu’il a décidé d’acheter un renard pour ses filles. Son identité sociale n’est pas connue, mais on devine que c’est un homme puissant et que, de même que le « Président » croit à l’impunité du pouvoir, il est, lui, persuadé que l’argent peut tout acheter, y compris la magie d’une amitié entre un renard et des enfants – un motif qui peut difficilement ne pas faire songer à Antoine de Saint-Exupéry.
Le lion est l’animal royal. En disant à Yvon « Ton règne est fini », Christine utilise bien un lexique qui est celui de la royauté. Avec sa masse musculaire, sa crinière opulente, le lion dégage une impression de puissance alors qu’Yvon, au contraire, entièrement nu à l’exception de ses petites lunettes, chauve, recroquevillé sur lui-même, fait piteuse figure.
Le chimpanzé est le plus présent des trois, et le plus énigmatique. La pulsion qui l’anime semble avant tout de nature scopique. Il regarde la femme. Le sexe de la femme. Par deux fois : page 52 et page 104. Mais le sens de cette curiosité nous échappe. Elle est d’autant plus mystérieuse que Blutch représente systématiquement son singe avec des orbites vides, dépourvu de regard.

Le singe, pourtant, « regarde » la femme comme l’artiste, dans Mitchum, regardait son modèle. Lequel le regardait aussi – et, le cas échéant, le désirait en retour –, aucun regard ne paraissant prévaloir sur l’autre, comme l’a relevé, à juste titre, Jonathan Pépin-Nadeau [7]. Ici, la première des jeunes femmes offertes à la vue du chimpanzé ne fait que l’entr’apercevoir. Elle est couche sur le ventre et il se place derrière elle. Elle essaie de l’amadouer en le caressant du bras, à l’aveugle. La situation la plonge dans la confusion (« Je crois que je deviens folle. ») La deuxième ne dit rien, elle se laisse écarter les vêtements, interdite. Dans les deux cas, la confrontation se termine par l’offrande, par le chimpanzé, d’une lourde pierre. La sphère minérale est placée entre les jambes ouvertes de la femme allongée, et c’est comme une métaphore de la pénétration. L’autre femme fait face à la pierre, que l’animal a posée sur le rebord de sa fenêtre. La posture qu’adopte la femme maintenant entièrement nue, renversée sur une chaise basse, rappelle certains tableaux de Balthus, et tout particulièrement The Room (1952-54). La phrase « Une pierre dans mon jardin » joue sur le sens de l’expression « jeter des pierres dans le jardin de quelqu’un », qui signifie l’attaquer verbalement. Blutch en détourne le sens : le jardin est ici, sans aucun doute, le sexe de la femme. Le symbole est classique et remonte, au moins, au Cantique des cantiques. N’oublions pas qu’à la page 81, le jeune Bouli fait étalage de sa science sexuelle en affirmant que, si les garçons ont un zizi, « les grandes filles, elles ont de l’herbe ». L’idée que la pierre puisse être dans ce jardin-là suggère, à nouveau, la pénétration.
Notons que ce singe fait, par ailleurs, de la musique. Il frappe sur un tronc avec un bâton (p. 63), lançant un signal dont le sens, une fois encore, demeure énigmatique. Manifester l’appel du désir ? Faire du bruit gratuitement, pour s’affirmer sauvage et contredire à la civilité supposée de la société des hommes ?

Le singe est un animal pour lequel Blutch paraît éprouver une certaine dilection. On le croise dans Mitchum, et Pour en finir avec le cinéma comporte une séquence censée illustrer l’idée que « Le cinématographe descend du singe ». Les images convoquent King Kong et Cheetah, le grand et le petit singe. Elles confrontent surtout le primate à la femme, « pantelante », « livrée entière à l’appétit du singe », lequel peut disposer d’elle « selon son bon plaisir ». Une case frappante, pour laquelle la qualification de surréaliste est à nouveau appropriée, semble anticiper sur La Volupté. Le singe y est représenté métonymiquement par une main géante (souvenir du Manu-Manu de Fred ?) dont l’index s’insinue dans la raie fessière de la femme, qui se cabre sous l’effet de cette caresse.

Pour en finir avec le cinéma (extrait) © Dargaud

Revenons au singe de La Volupté. Etant donné son intérêt pour les genitalia, ce chimpanzé est peut-être un bonobo ? Nous ne le saurons pas. Il vaut, en fait, pour l’animal comme tel, le règne animal, l’animalité per se. Or le travail de Blutch, dans La Volupté, consiste à opérer une série de déplacements qui ont pour effet de brouiller la frontière entre l’humain et l’animal.
Ainsi, l’offrande des gros cailloux n’est nullement un comportement réservé au chimpanzé. Dans l’une des scènes, pour le coup, les plus surréalistes du livre (pp. 73-75), nous assistons à une fête de Noël en famille où les cadeaux échangés consistent précisément et exclusivement en grosses pierres, à la grande satisfaction apparente de ceux qui les reçoivent.

© Futuropolis

Le lecteur qui avait jugé l’offrande du caillou par le chimpanzé quelque peu étrange, et imputé cette bizarrerie au fait que l’animal obéit à d’autres logiques que l’homme, en est pour ses frais : voilà que, vingt pages plus loin, c’est l’homme qui semble singer l’animal, calquer son comportement sur le sien, ce qui fait accéder le récit à une étrangeté au carré.
Dans cette histoire, les femmes se frottent aux pierres mais aussi aux arbres. Elles paraissent se servir d’éléments naturels pour assouvir des instincts animaux. Séverine fait suinter la glu d’un arbre, elle le fait littéralement dégorger et, en somme, éjaculer. (Souvenons-nous que dans Vitesse moderne, le personnage de Rudy, le violoncelliste en habit de soirée et casque de motard, entretenait déjà avec un arbre percé d’une sorte de fente vulvaire géante, des rapports pour le moins équivoques.)

© Futuropolis

Tous les personnages mâles de La Volupté sont obsédés par les femmes, esclaves de leurs pulsions animales ; la proximité entre l’animal humain et le primate est telle que le dénouement paraît presque logique : on ne s’étonne plus guère qu’à la fin, Yvon, déambulant en tenue d’Adam, soit pris pour la bête féroce que toute la région recherche et froidement abattu.
La bande dessinée, comme l’on sait, n’a eu de cesse d’humaniser les animaux en les habillant, en les faisant parler et en les utilisant comme détour pour peindre notre société. En nous confrontant au mouvement inverse, c’est-à-dire à l’animalisation de l’humain, c’est un peu comme si Blutch procédait à un juste retour des choses.

Interrogé pour La Nouvelle Revue Française en janvier 2010, Blutch déclarait (p. 254) : « ... j’ai des préoccupations d’artiste... » « Quelles sont les préoccupations d’un artiste ? » lui demande alors José-Louis Bocquet. Réponse : « C’est d’accepter le malaise. »
Dans La Volupté comme déjà dans Vitesse moderne et, à des degrés moindres, finalement dans tous ses livres, Blutch travaille sur le malaise. Ce qu’il provoque chez le lecteur est de l’ordre de ce qui a été appelé Das Unheimliche (« l’inquiétante étrangeté »), dont Hoffmann est considéré comme le maître en littérature. Dans la perspective freudienne, l’Unheimliche est un refoulé qui fait retour chargé d’angoisse. La psychanalyste Martine Menès précise qu’il survient « quand l’intime surgit comme étranger, inconnu, autre absolu, au point d’en être effrayant » [8].
À considérer l’ensemble de son œuvre, il est aisé d’observer que l’inquiétude de Blutch a deux objets. Elle porte d’abord sur la question de l’identité, que l’artiste ne cesse d’interroger à travers une prolifération de doubles : le « petit Christian », Blotch l’artiste dévoyé et haïssable, Lantz l’artiste vieillissant de Lune l’envers. On peut considérer que le personnage d’Yvon, qui connaîtra un destin sacrificiel, appartient lui aussi à cette catégorie des avatars inquiets.
L’inquiétude sexuelle (pour reprendre le titre d’un livre du Dr Pierre Vachet, 1927) vient en deuxième lieu. Elle est le thème dominant de La Volupté. Dans un entretien accordé lors de la sortie du livre, Blutch confessait : « Je travaille un peu comme un élève dont le sujet de rédaction serait "Parlez-nous de la volupté". En réalité, je cherche à faire un bouquin de cul... et je n’y arrive pas [9]. »
Les termes utilisés sont à la fois dévalorisants et réducteurs. Voyons ce qu’il en est réellement.
Ordinairement, l’inquiétude sexuelle est surtout associée à la puberté, à l’adolescence. À l’âge où l’on s’éveille à la sensualité, on est incertain de sa cause et de son objet. Mais on est curieux du corps de l’autre, du sexe de l’autre.
Dans La Volupté, l’insistance est mise sur l’exhibition des organes génitaux. Le singe contemple par derrière l’entrecuisse de la jeune femme allongée, qui écarte complaisamment les jambes (p. 52). Séverine, au sortir du bain, accepte de s’exhiber nue avec un sac sur la tête qui efface son identité (p. 59) ; Farrah laisse photographier sa toison rousse (p. 84) ; Christine expose sa vulve à deux paires d’yeux, ceux d’Yvon et ceux du lion (pp. 91-93) ; l’autre jeune femme sans prénom laisse écarter ses vêtements par le chimpanzé (p. 104).
Il semble que Blutch fasse siens les mots prononcés à la toute fin de Vitesse moderne (pp. 79-80). L’homme qui – tiens tiens ! – vient d’ôter le sac qui couvrait la tête de Lola, lui assène sa conviction : à une époque où le monde nous est connu dans ses moindres recoins, « Il nous reste encore un mystère... Le dernier des mystères... ... et c’est la nudité. ... La nudité des hommes et des femmes. »
L’exhibition féminine répond, chez hommes et bêtes, à une même fascination pour le sexe féminin, une fascination qui touche presque au
vertige métaphysique.
Grâce à Pascal Quignard et à son livre Le Sexe et l’effroi, nous savons que les Romains appelaient le membre viril en érection le fascinus. Ici, l’appareil génital de l’homme n’est véritablement mis en exergue qu’à la dernière planche avant l’épilogue (p. 105), quand Yvon a été abattu et git, jambes écartées, sur le bitume. Le raccourci est saisissant et place le pénis flasque et les bourses du défunt au centre de l’image, nous obligeant à en faire le point focal de notre attention. Dès lors, les mots de la foule sont à double entente : c’est le cadavre, mais c’est aussi précisément son sexe, qui peut être taxé de « vrai monstre » et d’« horrible bête ».
C’est comme si Blutch éprouvait la nécessité de déprécier le sexe de l’homme aux fins de mieux célébrer celui de la femme – celui qui, même nu et offert, demeure en grande partie caché. Puisqu’il est question d’un renard dans La Volupté, on pourrait détourner la célèbre maxime que dit le renard au Petit Prince, dans le conte de Saint-Exupéry : « L’essentiel est invisible pour les yeux ». Une femme ne peut être réellement possédée à travers la chair, ni le mystère de son sexe réduit par le regard, si « pénétrant » soit celui-ci. Cependant on ne peut s’empêcher de scruter, d’interroger cette béance.

Outre Balthus, déjà cité, on croit reconnaître dans La Volupté des réminiscences du film de Luis Bunuel The Young One (1960 ; en France : La Jeune Fille) qui mettait aux prises des chasseurs, une fille de 13-14 ans aux allures de nymphette et un noir accusé de viol. On peut aussi trouver une parenté lointaine avec certains tableaux « irréalistes » du Néerlandais Pat Andrea – même si j’ignore dans quelle mesure Blutch connaît cet artiste. On songe surtout à Bruno Schulz (1892-1942), dont les dessins et gravures ont pour motifs récurrents la femme-idole et le sado-masochisme.

Chez Blutch comme chez Schulz, la chair est triste. L’album qui précédait immédiatement celui-ci, C’était le bonheur, se terminait sur les mots : « Tu n’es pas seul ». Ici, tous les personnages paraissent en proie à une grande solitude.
Yvon peut, en outre, être taxé d’obsédé sexuel. Lorsque, abandonné en pleine nature par son patron, il réussit, en grimpant sur le toit d’une ferme, à avoir du réseau et appelle Christine, au lieu de lui expliquer sa situation, de lancer le SOS qu’elle semble commander, il lui tient des propos obscènes. Et bien plus tard, quand il rentre enfin chez lui, chez eux, il se déshabille dès la porte d’entrée et cherche Christine en rampant, son attitude aussi bien que ses mots montrant clairement qu’elle le domine.

Où moment où Yvon retrouve la ville, une série de questions plutôt incongrues lui viennent à l’esprit : « Qui se souvient de Martine Carol ? », « Qui se souvient de Sylvia Kristel ? », « Qui se souvient de Bo Derek ? », qui conduisent finalement à « Qui se souviendra de moi ? » Une fois encore, les propos – ou les pensées – du fonctionnaire nous semblent parfaitement étrangères à la logique de la situation. Elles suivent un cours inattendu et introduisent une véritable disruption narrative. L’esprit du surréalisme s’introduit dans le texte, comme il le fait à d’autres moments du livre (témoin cet échange, page 58 : « T’as de belles jambes. Si tu veux, je m’en ferais une cravate. — Je ne supporte pas le bruit des arbres, Michel. »). Hergé avait donné l’exemple de ces phrases décalées avec la fameuse réplique d’Hippolyte Calys dans L’Étoile mystérieuse : « Aimez-vous les caramels mous ? »
L’invocation d’actrices qui furent toutes, à des degrés divers, réputées scandaleuses, s’inscrit pourtant dans une double isotopie : l’obsession sexuelle d’Yvon, et l’intérêt prononcé de Blutch pour le 7e art, auquel il donnera toute sa mesure dans Pour en finir avec le cinéma (2011).

© Futuropolis

En écho à cette première salve de questions, Yvon demande, page 98 : « Qui se souvient de Maurice Ronet ? », et ce seront ses derniers mots avant d’être abattu par les chasseurs. Par-delà son apparente incongruité, la référence à l’acteur tombe cette fois très à-propos, même s’il faut un lecteur cinéphile pour la décrypter. En effet, la situation d’Yvon coincé dans un espace étroit entre deux immeubles, rappelle fortement celle du personnage de Julien Tavernier, incarné par Ronet, cherchant désespérément à s’extraire de l’ascenseur où il est coincé, dans Ascenseur pour l’échafaud, de Louis Malle. (Sans compter que Ronet passait pour incarner une certaine forme de virilité même.) [10]

La phrase « Qui se souviendra de moi ? » revient aussi en écho, page 105. Dans ce qui est, cette fois, la dernière réplique du livre avant les deux pages de l’épilogue, le chasseur qui a abattu Yvon prononce des mots presque identiques : « Se souviendra-t-on de moi ? » Ainsi, la même interrogation, la même inquiétude existentielle caractérisent à la fois la victime et son exécuteur, ce qui a pour effet de réduire la distance entre eux et de tisser une sorte de fraternité. Naturellement, la prétention du chasseur, qui aimerait que son geste entre dans la légende, est grotesque, puisqu’il ne s’agit pas d’un acte de bravoure (avoir débarrassé la région de la bête féroce qui la terrorisait) mais d’une tragique méprise.
Ce besoin d’être remarqué, distingué, admiré, est en tout cas la seule chose qui paraisse relier le récit proprement dit avec le prologue et l’épilogue qui le bornent. Le garçon qui plonge sous les yeux de son père (hors-champ) lui demande à trois reprises de le regarder et, sitôt sorti de l’eau, s’inquiète : « Tu m’as vu, hein ? Dis ! Tu m’as vu ?! Tu m’as bien vu ? » Il est peu douteux que ce jeune homme, devenu grand, s’intéressera lui aussi à la trace qu’il laissera pour la postérité.
Devons-nous mettre en rapport l’exhibitionnisme sexuel, celui des corps et plus précisément des organes du plaisir, avec cette sorte d’exhibitionnisme de l’âme, et plus exactement de la vanité ? Vouloir être désiré, vouloir être distingué, ces deux aspirations sont elles comparables ? Dans quelle relation dialectique pouvons-nous les situer ? La question de savoir si Blutch a sciemment établi ce contrepoint demanderait à être vérifiée. Le critique hésite à introduire trop de rationalité, et une cohérence forcée, dans un livre qui fait une telle place aux fantasmes et à l’insolite.

Peut-être ce lacet défait, qui, dans la première séquence, conduit le Président à arrêter sa voiture et Yvon à en descendre, métaphorise-t-il justement la raison qui se dénoue, le corset de la rationalité qui desserre son étreinte ?
Les fantasmes conscients de Blutch ont probablement un rapport avec son histoire personnelle, que nous n’avons pas à connaître. Bien sûr, aucun fantasme ne lui appartient en exclusivité, et nous pouvons retrouver, au détour d’autres bandes dessinées, des images assez semblables à celles qui nous frappent dans La Volupté. (Ainsi, dans deux pages de Danny Steve qui sont une variation érotique sur Alice au pays des merveilles, le trou à la base de l’arbre, qui engloutit l’héroïne, a la forme d’une vulve, et le lapin blanc géant se positionne derrière Alice à la façon du chimpanzé de Blutch, quoique dans une posture plus explicite et plus conventionnelle [11].)
Mais les images fantasmatiques qui dessine Blutch ont un caractère obsessionnel, car nous les retrouvons de livre en livre. J’ai déjà signalé plus haut les nombreuses occurrences des singes dans son œuvre, et cette autre étreinte avec un arbre, dans Vitesse moderne. De même, l’édition intégrale de Mitchum montrait un naufragé nu et hirsute qui faisait dégorger un arbre avec son couteau. Dans ce même livre, on trouve d’autres images qui anticipaient sur telle ou telle scène de La Volupté. La tête recouverte d’un sac y intervient, de même que dans deux scènes de Vitesse moderne (pp. 27-29 et p. 77 dans l’édition de 2002). Il y a une page, dans Pour en finir avec le cinéma, qui n’est pas sans rappeler les retrouvailles entre Yvon et Christine. Et dans les grandes images qui composent La Beauté, on retrouve les enfants, la nudité, les arbres, la tête recouverte, les cailloux, et nombre d’animaux (chiens, lapin, coq, oiseau, lion, chat, marsouin).

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La Volupté est un livre tout entier construit autour de quelques-unes de ces images fantasmatiques qui cristallisent l’imaginaire et la libido de Blutch. L’artiste témoigne, dans ce domaine, d’une franchise et d’une liberté rares dans la bande dessinée. En le lisant, nous avons le sentiment d’être invité dans les recoins les plus intimes de sa psyché. C’est en cela que La Volupté peut troubler, déranger.
Entre réalisme et songe, c’est un grand livre habité de mystère, un livre de poésie crue et de mélancolie inquiète.

Thierry Groensteen
(Tous droits réservés.)

Notes

[1On se souvient que le conte de fées était l’une des sources de Sunnymoon tu es malade (L’Association, 1994).

[2« Blutch », entretien avec José-Louis Bocquet, La Nouvelle Revue Française, n° 592, janvier 2010, pp. 245-258. Cit. p. 252.

[3Cf. le site du quotidien belge Le Soir : « Blutch : "Resnais est un surréaliste" », mis en ligne le 12 février 2014. URL : http://www.lesoir.be/425745/article/culture/cinema/2014-02-12/blutch-resnais-est-un-surrealiste

[4Cf. Jean-Paul Marcheschi, Le Livre du sommeil, Paris, Somogy, 2001, p. 84 : « picturalement le surréalisme c’est l’almanach des Postes. (…) Breton a beaucoup contribué à faire de l’œuvre d’art un petit bricolage. Il a trop fréquenté « les Puces » et pas assez les vraies audaces picturales. (…) Le surréalisme (et jusque dans ses effets actuels) relève d’un idéal de brocanteur. »

[5Dominique Radrizzani, « Les Carnets de Blutch », Bédéphile, n°1, septembre 2015, pp. 31-32.

[6En 1995, Blutch et Jean-Christophe Menu avait suivi pendant deux jours Marie-Christine Blandin, présidente de la Région Nord-Pas-de-Calais, et en avaient tiré un récit en 25 planches intitulé « La Présidente ». Paru dans Noire est la Terre, Paris, Autrement, "Histoires graphiques". On a peut-être affaire ici à une réminiscence de cette expérience.

[7Jonathan Pépin-Nadeau, Transferts discursifs et intersubjectivité chez Blutch : une recherche esthétique et critique en bande dessinée, mémoire de Maîtrise en Études littéraires, Université du Québec à Montréal, nov. 2009, p. 27.

[8Martine Menès, « L’inquiétante étrangeté », La Lettre de l’enfance et de l’adolescence 2004/2 (n° 56), pp. 21-24. En ligne sur cairn.info. URL : http://www.cairn.info/revue-lettre-de-l-enfance-et-de-l-adolescence-2004-2-page-21.htm. Consulté le 5 août 2015.

[9Interview par Jérôme Briot le 20 juin 2006, parue dans Bang ! n° 4, mise en ligne sur le site Le Briographe le 3 septembre 2006 ; URL : http://www.briographe.com/tag/Blutch

[10Dans un commentaire posté sur le forum du site du9, un internaute a fait la supposition que les « qui se souvient » d’Yvon pourraient être une réminiscence d’un passage de Monsieur Paul, d’Henri Calet (« Oui, ce monde où l’on vous pend pour un oui pour un non, était absurde. Qui se souvient de Petkov ? »), écrivain dont il est établi que Blutch l’a fréquenté puisqu’il le cite dans C’était le bonheur.

[11Pages sans titre, dans l’album de Danny Steve Mon cul, Les Requins Marteaux, "Rouille", 2002, n.p.

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