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Richard McGuire : Ici

Circonstances

Richard McGuire est né dans le New Jersey en 1957. Graphiste, illustrateur, designer, sculpteur, musicien (avec le groupe Liquid Liquid), concepteur de jouets, ce créateur polyvalent est aussi l’auteur de quatre livres pour enfants dans les années quatre-vingt-dix, et de deux petits livres d’hommage à Popeye. On lui doit de mémorables couvertures pour le New Yorker. Il a participé à la réalisation de deux longs métrages d’animation produits par Prima Linea : Loulou et autres loups (2003) et Peur(s) du noir (2007). Dans le domaine de la bande dessinée, jusqu’à Ici ses contributions se limitaient à quelques histoires courtes toujours très conceptuelles. L’École européenne supérieure de l’image d’Angoulême lui a décerné son prix annuel en 2006.


En 1989, Richard McGuire avait publié une bande dessinée en 6 pages intitulée Here dans la revue d’avant-garde dirigée par Art Spiegelman et Françoise Mouly RAW (vol. 2 n°1). En raison de son dispositif novateur, cette histoire avait marqué les esprits et connu une grande fortune critique. Chris Ware devait déclarer qu’aucune autre bande dessinée n’avait exercé sur lui d’impact comparable [1]
Vingt-cinq ans plus tard, Here, le livre (Pantheon, 2014), reprend le même concept et le déploie sur 304 pages. La version française paraît chez Gallimard en janvier 2015 sous le titre Ici.
McGuire a appliqué le même principe de diffraction temporelle à la couverture du New Yorker daté du 24 novembre 2014, qui n’était pas sans avoir une dimension publicitaire au bénéfice du livre publié simultanément.

Argument

Ici raconte l’histoire d’un lieu – un coin indifférent de l’Amérique profonde – et celle des êtres qui l’ont habité à travers les siècles. C’est une vaste fresque historique dans laquelle les existences se croisent et souvent, se font écho, avant d’être précipitées dans l’oubli. L’espace cadré est toujours le même, comme dans un long « plan fixe ». En revanche les instants représentés sont proposés dans le plus grand désordre chronologique, comme un puzzle temporel dont l’amplitude s’étend de 3 500 000 000 av. J.C. jusqu’à l’an 22 175.

*


Ici peut se lire sans connaissance préalable de la version courte de 1989. Mais le livre – annoncé depuis bien des années – n’existerait pas cette première version, dont le retentissement atteste qu’elle était déjà bien davantage que la « matrice » d’une œuvre à venir.
Qu’un auteur de bande dessinée revisite une histoire si brève pour en tirer, des années plus tard, un livre si ample, je n’y vois qu’un précédent, celui d’Art Spiegelman, dont la première version de Maus, publiée en 1972, ne faisait que trois pages.
Chris Ware a eu, à propos des deux versions de Here [2], cette formule imagée : « Si la première nouvelle était une sonate de piano, ce nouveau livre est une symphonie. » Et le créateur de Building Stories d’ajouter cet éloge hyperbolique : « Avec ces six premières pages datées, McGuire avait introduit en 1989 une nouvelle façon de faire une bande dessinée. Avec ce volume, en 2014, il introduit une nouvelle façon de faire un livre. » [3]

De fait, le travail d’amplification, de re-création est tel, que l’on peut presque parler d’une adaptation pour un autre support. Au reste, Ici, le livre, est moins immédiatement tributaire des codes spatio-topiques de la bande dessinée conventionnelle. Chacune des six pages de 1989 se présentait comme un « gaufrier », en l’espèce un multicadre composé de six cadres de même dimension, séparés par du blanc ; le livre, lui, fonctionne par doubles pages, avec, pour chacune, une grande image à bords perdus, et, presque toujours, une ou plusieurs vignettes « en incrustation », bordées par un simple filet de couleur bistre.

Il convient de repartir de la version de 1989 pour comprendre, tout d’abord, ce que cette histoire avait de profondément novateur, et pour mesurer, dans un deuxième temps, sous quels aspects l’auteur a revisité son propre travail, et avec quels effets.
McGuire a explicité la genèse de Here :

L’idée de Here a germé quand j’ai emménagé dans un nouvel appartement. Je me suis demandé qui pouvait bien avoir vécu là avant moi. J’ai fait quelques dessins sur le principe du split screen : le temps avançait vers l’avant sur la partie gauche et reculait vers le passé sur la partie droite.

(Un souvenir qui a aussi joué le rôle d’élément déclencheur, comme McGuire l’a évoqué ailleurs, a été le rituel de la photo que son père prenait de lui et de ses frères et sœur chaque année à Noël. Il lui a fait prendre conscience de « la nature cyclique des affaires humaines et de l’irrémédiabilité du passé ». Mais laissons-le poursuivre.)

Je fréquentais un ami du nom de Ken Claderia, avec lequel j’étais allé à l’école et qui est devenu un savant travaillant pour l’université de Stanford. Une remarque qu’il me fit à propos du logiciel Windows me donna l’idée d’utiliser des vues multiples au lieu du split screen. Ce fut vraiment une révélation ! L’idée d’une vue multidimensionnelle du temps, proposée non pas de façon linéaire mais comme simultanée [4] !

La conversation avec Claderia fut en effet décisive : elle donna à McGuire (qui n’avait alors encore aucune expérience personnelle de Windows et s’en fit une idée sur les seuls dires de son ami) cette intuition, qu’une case pouvait « s’ouvrir » à l’intérieur d’une autre, comme une fenêtre sur un écran, ou qu’en se « fermant » elle pouvait en révéler une autre cachée « derrière ».
De tels inserts vont proliférer tout au long des six pages. Au lieu des trente-six vignettes attendues (six pages divisées en six cadres), l’histoire en compte un total de quatre-vingt-cinq [5]. Leur introduction est progressive, comme si McGuire avait différé ses effets et ménagé une entrée dans le récit rassurante et familière : la première vignette-dans-la-vignette n’apparaît qu’au cinquième cadre. Mais une fois introduit, le principe de la partition du champ s’affole très vite : le huitième et le neuvième cadres sont déjà divisés en quatre fragments, un maximum qui ne sera pas dépassé ensuite.
Ce dispositif a ceci de très particulier que chaque vignette, quelle que soit sa superficie, comporte une date. La fausse continuité induite au début (trois cadres consécutifs portent la même date, 1957) est vite battue en brèche : les images suivantes nous projettent en 1922, puis en 1971 et 1999. Désormais, chaque vignette nous fera effectuer un saut temporel dans le passé ou dans le futur.

Ce qui se trouve ainsi détricoté, c’est la continuité narrative. Dans une bande dessinée, l’ordre séquentiel des images suit généralement un double axe : celui, temporel, de la consécution, et celui, logique, de la conséquentialité. Rien de tel ici. Il faut se débrouiller avec des prélèvements temporels livrés en vrac, dans le plus grand désordre apparent.
La stabilité est donnée par les coordonnées spatiales, par l’intangibilité du cadre, du champ. Cette histoire est l’histoire d’un lieu. Tout se passe rigoureusement au même endroit, here, ici, dans cette encoignure que désigne la vignette inaugurale (seule à ne pas être datée, elle coiffe l’ensemble des six pages, fonctionnant comme prémisse, indication principielle). À l’extrême mobilité sur l’échelle du temps s’oppose donc l’absolue fixité du point de vue. Tout se passe comme si, durant des millions d’années, un témoin immobile avait obstinément gardé l’œil rivé sur la même parcelle de notre planète – ou une caméra qui n’aurait cessé de tourner, enregistrant tout ce qui se passait à l’intérieur du champ.

Ce lieu n’a pourtant rien qui le désigne particulièrement à l’attention. Des millions d’autres auraient pu convenir aussi bien. C’est un « petit coin » de l’Amérique, non situé. Petit coin qui s’est matérialisé littéralement quand une maison a été construite à cet endroit, en 1901. Il y avait eu auparavant un enclos. Avant l’arrivée des fermiers blancs, des Indiens. Et encore bien plus longtemps auparavant, des dinosaures.

Je me permettrai de reprendre ici quelques fragments d’une étude que j’avais consacrée à Here deux ans après sa parution dans RAW [6].

La majorité des vignettes concernent la vie domestique des familles qui, successivement, habitèrent cette maison. De cette chronique en pointillé se détache un seul personnage stable et identifiable : William, dit « Billy », dont la naissance (en 1957, rapportée dans les premières vignettes) et la mort (en 2027) sont dûment signalées.

Cette inscription dans le siècle ne doit rien au hasard : McGuire est né la même année que Billy, son exact contemporain. Il est venu au monde à Perth Amboy, dans le New Jersey, où se dresse encore la maison de son enfance, celle-là même qui sera plus nettement au centre de la narration déployée dans Ici, le livre. (Cet ancrage autobiographique procède d’un geste d’appropriation analogue à celui de Chris Ware qui, pour l’immeuble de Building Stories, a pris modèle sur une maison où il a lui-même habité.)
En dépit de son amplitude temporelle considérable, pour ne pas dire extravagante, il y a donc un effet de focalisation très net sur une période privilégiée, qui correspond à la période historique vécue par l’auteur. Cependant,

de la vie de Billy pas plus que de celle des autres personnages représentés (tous anonymes), rien n’émerge qui paraisse digne d’intérêt. (...) Même rétablis dans leur chronologie, ces instantanés continuent d’être insignifiants : un verre renversé, un œil jeté sur des photos ou des films de famille, un élément de la décoration modifié, un enfant surpris en train de dérober un biscuit, mille et un propos échangés qui consternent par leur vacuité.

Le côté routinier de la vie quotidienne est mis en exergue, en particulier dans le quatrième cadre de la cinquième page, « où un montage de quatre vignettes montre, dans un raccourci fulgurant, que les mêmes tâches ménagères sempiternellement recommencées donnent lieu, année après année, aux mêmes commentaires résignés. »
Une lecture plus attentive faisait apparaître que la distribution des images dans l’espace n’était pas tout à fait aléatoire et désordonnée, McGuire s’étant ingénié à construire toute une série de rimes et de contrepoints malicieux entre des vignettes réunies dans un même cadre ou entre cadres juxtaposés. Soit quelques exemples signalés dans mon texte de 1991 :

… les objets, les êtres, les sons se répondent en grand nombre. « Speak » (IV-2-1965 [7]) amène aussitôt « squeak » (IV-3-1999), et le monstrueux dinosaurien vivant en 100 650 010 av. J.-C. (IV-4) succède immédiatement à sa réplique miniaturisée que manipule l’enfant en l’an 2028 (IV-3).
Parce qu’elles peuvent indifféremment s’appliquer à deux situations figurées dans des cadres voisins, certaines répliques sont dotées d’un double sens qui leur confère une indéniable saveur. Citons-en deux. « Billy ! Put that back ! », s’applique d’abord au biscuit que l’enfant vient de saisir (IV-5-1968 a et b), mais il est aussi permis d’y lire une plaisante injonction à remettre en place l’arbre fraîchement scié (en 2032 !) qui apparaît entre les deux protagonistes ; en VI-12-2027, c’est l’énoncé « You know that guy who used to live here » qui est mis en facteur commun pour Billy, qui fut le précédent occupant (VI-2-1987) et pour l’Indien tué en 1850 sur cette même terre (également en VI-2).
(...)
La configuration la plus élaborée me paraît celle proposée en VI-5. À partir d’éléments empruntés aux trois vignettes respectivement datées 1750, 1986 et 2030, une cohérence enfouie peut être mise au jour. Deux motifs circulaires sont distants d’à peine deux centimètres : la balle de baseball et le motif qui orne l’entrée du tipi. De même diamètre, ces deux cercles fournissent séparément les éléments du signe du Tao : une ligne sinueuse, d’une part, l’opposition entre noir et blanc, d’autre part. Ils permettent donc sa recomposition mentale par le lecteur. Or, au couple Yin-Yang correspond notamment la dualité masculin-féminin, et leur union dans la complémentarité. C’est bien une telle rencontre que synthétise la zone VI-5-1986, les jambes de l’homme et de la femme se trouvant d’ailleurs à la verticale des motifs circulaires.

Ainsi, cette anti-histoire qu’était Here, version 1989, faisait partout « fleurir des effets de sens locaux, qu’il appartient au lecteur de réaliser au prix d’une participation active ».

En détricotant le tissu temporel et événementiel, en ayant en outre massivement recours au procédé de l’incrustation [8], McGuire s’est donné le moyen de renforcer et de faire monter à la surface des propriétés trop souvent négligées dans l’usage qui est fait des vignettes : leur incomplétude, leur localisation, la multiplicité de leurs niveaux de signifiance. (...) Nombre de vignettes se révèlent ainsi à double, à triple, à multiple entente, selon que, au gré des voisinages et des résurgences, on les indexe sur tel ou tel de leurs composants iconiques ou de leurs paramètres formels. Dégagée de tout assujettissement à un récit linéaire, l’histoire dessinée devient un réseau que l’on peut parcourir librement et selon toutes sortes de pistes.

On comprendra que, découverte dix ans avant que je ne fasse paraître Système de la bande dessinée, cette histoire, si brève et si modeste d’apparence, contribua, plus qu’aucune autre, sans doute, à me faire réaliser que tous les éléments d’une bande dessinée font système, et me mit sur la piste de ce que j’allais appeler les effets de tressage.
Son impact fut, comme il a été dit, tout aussi déterminant sur Chris Ware, au moment où, jeune dessinateur, il était « à la recherche de nouvelles façons d’exprimer la complexité de la vie » [9]. Elle est notamment patente sur une planche de Big Tex reprise dans l’anthologie Acme (Delcourt, 2007), puzzle temporel où chacune des quinze vignettes renvoie à une période différente de l’histoire d’un même lieu, alors que, toutes ensemble, elles dessinent un espace global fallacieusement continu [10]. Elle est diffuse dans l’ensemble de son travail, notamment en ce qui concerne sa façon de se promener entre des époques différentes (la vie de Jimmy Corrigan éclairée par ce qui est arrivé à ses grand-père et arrière-grand-père, l’une des protagonistes de Building Stories dont la mémoire sera étudiée par un chercheur en l’an 2156...) et de chercher à provoquer, de la part de ses lecteurs, des modes de participation plus actifs. Les statistiques tenues par l’immeuble dans lequel se déroulent les Building Stories sur tout ce qui s’est passé entre ses murs en un siècle sont elles aussi à mettre en rapport avec cette mémoire du lieu qui intéresse McGuire.

Le changement d’échelle qui s’accomplit avec le passage de Here au format livre affecte deux paramètres différents : l’amplitude du récit (pas en nombre d’années, mais en nombre d’images, et donc d’aperçus sur l’histoire du lieu : la chronique est plus fournie en épisodes divers) et la taille des images. Aux cases qui occupaient, dans RAW, 30 cm2, correspondent ici des doubles pages d’une superficie presque 25 fois supérieure.
Le passage du noir et blanc à la couleur est une autre modification d’importance. Le changement d’échelle des images appelait la couleur : le dessin au trait relativement épuré de la première version n’aurait pas été approprié pour tenir la surface désormais impartie à chaque « tableau ». En défaisant le multicadre et en assignant à chaque scène sa double page, McGuire transformait Here en un livre d’images qui se devait de régaler aussi les yeux.

L’encoignure désignée par la vignette inaugurale de la version de 1989 coupait celle-ci par le milieu et la divisait en trois zones : le mur de gauche (percé d’une fenêtre), le mur de droite et le sol. La transposition de ce schéma de composition dans l’espace du livre ne pouvait aboutir qu’à cette solution évidente et extrêmement audacieuse à la fois : l’angle entre les murs tomberait dans le pli entre les pages, coïnciderait avec lui. En effet, il n’y a plus de trait vertical pour matérialiser la rencontre des deux murs, c’est le pli lui-même qui en tient lieu.
De sorte que, si le lecteur tient le livre dans ses mains et ménage entre la partie lue et la partie encore à lire un angle de 90°, il matérialise dans l’espace la configuration de la pièce. Il suffirait d’un pop-up pour transformer le livre en petit théâtre de papier.

Dans Ici, le mur de droite comporte une cheminée que la première version ne faisait pas voir et, au-dessus de celle-ci, à certaines époques (cf. infra), un miroir, dans lequel se reflètent le haut d’une armoire et, surtout, l’angle que forment les deux murs opposés avec le plafond. (Le miroir en place depuis au moins 1930, qui se décroche et se brise en 1949, avec son cadre ornemental, n’est pas le même que celui, moderne et sobre, accroché en 1983 et qui restera en place jusqu’à la fin du siècle ; mais tous deux nous font voir cet angle. Entre les deux, à partir des années cinquante, c’est un tableau – un paysage – qui a occupé le même emplacement.)
Il faut examiner l’image avec attention, et prendre notamment en compte la perspective que dessine le tapis, pour réaliser que ces deux murs opposés n’existent pas, ou plutôt, que McGuire les a « escamotés », à la façon du « quatrième mur » au théâtre, pour nous permettre de pénétrer du regard dans la pièce. Mais, justement, la scène où tout se passe ne se présente pas à nous sur le mode, frontal, d’un plateau, elle a « pivoté » de 45°, de sorte que ce sont deux murs au lieu d’un qu’il convient de faire disparaître pour nous offrir la visibilité nécessaire.
Nous avons affaire à une fausse perspective, une perspective paradoxale, et il est impossible de déterminer si cet angle qui se reflète dans le miroir est situé devant ou derrière nous. Mais, même si McGuire n’en fait pas un usage aussi décisif que Velasquez, on peut appliquer au miroir ces lignes que Michel Foucault écrivait à propos de celui apparaissant dans le fond des Ménines : il « ... traverse tout le champ de la représentation, négligeant ce qu’il pourrait y capter, et restitue la visibilité à ce qui demeure hors de tout regard [11] ».

Les changements dans la décoration de la pièce fournissent au lecteur un champ d’observation si riche qu’ils peuvent, à eux seuls, retenir son attention et offrir une ample matière à réflexion sur l’impermanence des choses. Comme l’écrit plaisamment Marius Chapuis, « on assiste à la naissance et à la mort d’un papier peint (1949-1960) » [12]. De fait, dans la même double page, un papier posé en 1949 est arraché en 1960. L’ensemble du mobilier (tapis, lampes, sièges, rideaux) se renouvelle plusieurs fois. Mais certains objets résistent à l’obsolescence, et l’on peut observer qu’un même jeu – appelé Twister – est utilisé par trois générations successives d’enfants, de 1966 (année de sa création) à 2015.
On imagine que, pour ne pas se tromper, McGuire a dû, avant de « battre les cartes », construire une sorte de base de données linéaire présentant les états successifs du décor. Pourtant, un lecteur attentif peut déceler certaines incohérences. Pour ne parler que des miroirs et des autres objets (une horloge murale en forme de soleil, un trophée de chasse, un écran plat...) qui ont été posés ou accrochés au-dessus de la cheminée, les choses ne sont pas tout à fait aussi simples que ce que j’en ai dit plus haut. Ainsi, ce miroir qui se brise en 1949, on le retrouve ailleurs, inexplicablement, en 1974.
Il y avait eu un premier miroir en 1910. Puis, jusqu’en 1930 (date de l’accrochage du second miroir), un tableau, qui représente très exactement ce que montrent les images millésimées 1869-70 (le « bâtiment historique de l’autre côté de la rue », où résidait le fils de Benjamin Franklin, William Franklin, hôte célèbre de Perth Amboy), ce qui veut dire qu’il a été peint sur site (de fait, nous verrons le peintre installer son chevalet). Mais on retrouve inexplicablement ce même tableau dans une image datée 1940, soit dix ans après qu’il ait cédé la place au miroir, qui l’occupera jusqu’en 1949 [13].
On ne sait s’il s’agit d’erreurs involontaires – surprenantes chez un auteur aussi méticuleux – ou s’il convient de leur prêter un sens, et lequel. La question, il est vrai, est assez périphérique par rapport à cette poétique du temps qui se déploie dans Ici et dont il faut maintenant parler plus avant.

Leur inscription dans l’épaisseur du temps semble être une préoccupation partagée par les personnages. Nombre de leurs propos manifestent une conscience du temps : « Tu te souviendras de ce jour jusqu’à la fin de ta vie », « Je n’ai pas vu passer le temps », « Plus je vieillis, moins j’en sais. / Un jour, je ne saurai plus rien », « J’avais ton âge la première fois que j’ai traversé cette ville... » et même du temps long, excédant l’échelle de la vie humaine : « Dans 8 millions d’années, (...) notre soleil commencera à enfler... » ou ces mots imprimés sur un t-shirt : « Future transitional Fossil ». Même la blague racontée (en 1989) dans les premières pages joue sur la notion de temps : c’est hier que le docteur aurait dû dire à son patient qu’il ne lui restait que 24 h à vivre ! Il est manifeste que McGuire projette sur ses personnages ses propres préoccupations et en fait, à cet égard, ses porte-paroles.
Cependant, le sujet qui, semble-t-il, l’obsède plus particulièrement, à savoir la « nature cyclique des affaires humaines », est illustré par la mise en série de gestes, de phrases, de situations voués à la répétition. Gestes du quotidien tels que le nettoyage (« Plus je nettoie, plus ça se salit », constate, impuissante, la ménagère), agissements réflexe tels que les aboiements du chien au passage du facteur (le propriétaire de l’animal parle d’un « petit rituel » qu’ils effectuent à deux), paroles toutes faites devenues de véritables refrains (la femme qui, chaque jour, vérifie, dans les mêmes termes, que son mari n’oublie rien en partant : « Montre, portefeuille, clés ? »), etc. Les levers et couchers de soleil, auquel l’artiste consacre plusieurs doubles pages contemplatives, sont eux-mêmes, par excellence, des événements cycliques qui scandent l’écoulement des jours.
Une autre catégorie est celle des événements qui se répondent à distance. Événements qui sont, les uns insignifiants, comme le passage récurrent d’animaux dans le champ (dinosaures, bisons, vaches, oiseaux et autres biches), marchant sans le savoir dans les traces les uns des autres, ou dramatiques, comme les catastrophes successives qui frappent la maison construite en 1907 : un incendie en 1996, un cambriolage l’année suivante, un effondrement partiel en 2015 et une inondation en 2111. Comme le dit Benjamin Franklin (en 1755) : « La vie a le don de faire rimer les événements ».

Mais ce qui advient dans la vie n’est pas exactement du même ordre que ce qui est disposé dans une œuvre. À cet égard, je citerai l’écrivain Olivier Rolin qui, dans Bakou, derniers jours (Seuil, 2010), a écrit : « Dans un texte, une musique, une peinture, l’analogie ne s’affirme et ne vaut que par ses répercussions, ses échos, ses rappels, en d’autres mots elle ne peut se concevoir ou s’évaluer que dans une suite impliquant répartition du temps ou de l’espace et généralement les deux ensembles » (p. 66).
Le travail de McGuire consiste, en effet, à tisser des échos de toutes sortes, à les répartir dans l’épaisseur déconstruite/reconstruite du temps fictionnel, et à les ordonner dans l’espace vectorisé du livre.

La datation de chaque vignette est un élément essentiel de cette poétique. Et d’abord parce que c’est un élément a priori aussi peu poétique que possible. À chaque image son étiquette ; à chaque instant de vie, si insignifiant ou fugace qu’il soit, sa localisation temporelle. Le caractère souvent flou, incertain, approximatif, brumeux de la remémoration (qui est notre manière d’appréhender le temps déjà vécu) est ici contredit avec une précision qui peut sembler obsessionnelle et maniaque.
Sans cette datation systématique, il est certain que le lecteur perdrait pied, se sentirait égaré dans un kaléidoscope d’images impossibles à relier de façon rationnelle. La datation a pour effet d’installer très vite ce sentiment d’égarement, puisqu’elle indique de façon claire que les images découvertes à la suite sont non consécutives ; mais elle permet aussi de le dépasser, donnant l’impression que le livre comprend son « mode d’emploi » et suscitant presque immanquablement chez le lecteur la tentation de réassembler le puzzle temporel, de lui redonner une forme plus intelligible. Perspective illusoire, naturellement, les images du livre ne pouvant pas être étalées sur un plan de travail et réordonnées chronologiquement. À défaut de satisfaire cette ambition, la datation permet du moins de circuler dans le livre, en avant et en arrière, pour opérer des recoupements, vérifier comment les lignes de récit se constituent, se croisent, trouvent ou non une résolution.
McGuire en tire, ponctuellement, des effets singuliers. Comme dans cette double page qui récapitule quatorze insultes prononcées dans la même pièce entre 1943 et 1984 (d’autres inserts montrent des bris d’objets divers, pour matérialiser l’idée de dispute). On se demande si cet échantillon peut servir à une étude lexicologique sur l’évolution du vocabulaire de l’insulte. Disait-on réellement « cinglé » en 1955, « barjo » en 1977 et « geek » dès 1984 ? Le fait que les locuteurs soient invisibles, et les circonstances des disputes inconnues, contribue à rendre comique cette collection de noms d’oiseaux. Et la seule vignette visible sur cette double page qui paraisse étrangère à cette isotopie figure l’eau qui entre à flots par la fenêtre, lors de l’inondation de 2111. Façon de suggérer métaphoriquement un torrent d’injures ?

Autre usage déroutant de la datation, cette double page où un oiseau entré par la fenêtre vole de façon désordonnée dans la pièce, au grand effroi d’une jeune fille. Il y a neuf vignettes incrustées par-dessus l’image principale, ou plutôt découpant dans celle-ci des instants consécutifs. L’une et les autres sont datées 1998, la mention de cette date revenant donc dix fois alors que l’ensemble de la scène se déroule, non seulement la même année, mais le même jour, à la même heure, sans doute en moins d’une minute. La règle voulant que chaque vignette soit pourvue de son « étiquette » conduit à une redondance superfétatoire et ironique.

Dans Ici, les incrustations sont de différentes sortes. D’abord, parce que les unes sont uniques, détachées, et les autres prises dans une logique sérielle ; ensuite, parce que certaines, comme dans l’épisode de l’oiseau affolé mentionné à l’instant, découpent une vue partielle ou un instant t à l’intérieur d’une scène cohérente, alors que d’autres jouent le contrepoint, mettant en tension deux époques éloignées : une scène d’intérieur avec un paysage, une image nocturne avec une image diurne, etc. ; enfin, parce que certaines correspondent à une vignette au contenu aisément déchiffrable, quand d’autres ne donnent rien à voir que d’énigmatique et sont à élucidation différée, leur sens pouvant s’éclairer rétroactivement au prix d’un rapprochement avec une autre (ou plusieurs autres) vignette(s) distante(s).
McGuire invente, en somme, une nouvelle interactivité – différente de celle mise en œuvre par Chris Ware dans Building Stories [14]. Chapuis l’a parfaitement résumée dans Libération [15] : Ici encourage le lecteur « à être actif en effectuant des aller-retour pour retrouver l’origine d’un dialogue, une chute entamée à la page 30 pouvant se conclure une centaine de pages plus tard ».
Le livre est un millefeuilles, une superposition d’instants, et il faut entendre superposition au sens littéral : des instants prélevés dans l’épaisseur du temps se superposent exactement dans l’épaisseur du livre, le principe du « plan fixe » garantissant qu’à n’importe quel endroit de la page correspond toujours le même endroit dans l’espace du monde.

Par ailleurs, certains prélèvements dans le temps n’ont pas ce caractère de fugacité, ne correspondent pas à des instantanés. Ils durent. Sur plusieurs pages, un même personnage revient, poursuit une même action. Les vignettes s’organisent en séries, et même en séquences. Et ces séquences, d’amplitude variable, se chevauchent partiellement. Ainsi, dans les premières pages : la femme à la robe rose est figurée deux fois, le chat qui traverse la pièce (comme dans la version de 1989) trois fois, le groupe assis dans le salon neuf fois, et ainsi de suite. Ces strates temporelles se recouvrent comme des nappes musicales. Balthazar Kaplan, qui rappelle que McGuire est lui-même musicien, assure qu’« Ici obéit à une logique essentiellement musicale » [16].
On doit introduire ici une distinction entre la durée réelle des actions en elles-mêmes (combien de secondes un chat met-il pour traverser une pièce ? Combien de temps faut-il pour raconter une blague ?) et celle que l’auteur leur prête. Il est, en effet, le maître du temps, celui qui choisit d’être plus synthétique ici, plus analytique là. Certains événements importants ne sont évoqués qu’à travers une seule image. À l’inverse, McGuire étire le temps à l’extrême quand il distille sur cinq doubles page l’installation d’un écran de projection sur pied, ou quand une flèche tirée par un Indien en 1402 fend l’air pendant plusieurs pages consécutives pour ne progresser que de quelques centimètres. Comme si McGuire avait voulu illustrer le paradoxe de la flèche formulé par Zénon d’Élée, selon lequel une flèche en vol est toujours immobile.

La toute première bulle du livre, prononcée par la femme en rose (« Mmh... Pourquoi suis-je venue ici, déjà ? ») est peut-être un clin d’œil à Matt Madden. On se souvient que, dans les 99 exercices de style [17] imaginés par ce dernier en hommage à Raymond Queneau, l’anecdote récurrente montre le dessinateur quitter sa table de travail, se diriger vers le réfrigérateur et, après l’avoir ouvert, demeurer perplexe : « Bon sang, mais qu’est-ce que je cherchais, en fait ?! »
La perplexité de la femme rose annoncerait alors que le livre dont nous entamons la lecture sera – même s’il ne s’y laissera pas réduire – une façon d’exercice de style. Mais, que McGuire ait voulu adresser un clin d’œil à son confrère ou non, l’important est que cette première phrase prononcée comporte le mot ici. Or les quatre doubles pages muettes et sans personnage qui précèdent ont déjà établi l’instabilité de cet « ici ». La pièce est meublée différemment en 1942, 1957, 2007 et 2014. Et les pages suivantes, dans lesquelles l’image de fond renvoie à des temps antérieurs à la construction de la maison, et ne montre donc que du paysage non bâti, élargissent cette notion d’impermanence : tour à tour inondé, marécageux, forestier, l’endroit n’a cessé de se métamorphoser sous l’effet de causes naturelles. « Ici » est donc un concept dont le sens est très relatif, sitôt qu’on s’inscrit dans un temps plus long. La suite du livre ne fera que déployer cette évidence, qui, pour en être une, échappe cependant à la perception humaine ordinaire.

Considérant que les instants qui figurent dans le livre ne représentent que quelques fort minces prélèvements dans le temps long évoqué, on peut se demander selon quels critères ils ont été choisis par le « grand imagier » dont la main est ici constamment présente. Il apparaît vite, à cet égard, que tous les instants figurés ne sont pas de même nature. On a, d’un côté, des instants qui ont fait événement, que ce soit au regard de la « Grande Histoire » (la rencontre entre les Hollandais et les indiens, le passage d’un « grand homme » – en l’occurrence Benjamin Franklin) ou au regard de l’histoire du lieu (la construction de la maison, l’incendie, etc.), et on a, de l’autre côté, quantité d’instants apparemment insignifiants ou routiniers, de ces « moments normalement voués à l’oubli total » dont parle Lewis Trondheim dans ses Petits Riens. Insignifiants : la banalité de la plupart des paroles prononcées le souligne. Routiniers : les fêtes enfantines, souvent costumées, les anniversaires, les photos de famille (« Souriez »), le ménage, etc. Le poisson rouge qui tourne en rond dans son bocal est une métaphore de ces vies qui semblent faire du sur place – de même que la maison de poupée (en 1935) et les scènes d’intérieur peintes par Vermeer (différentes en 1944 et 2015) mettent en abyme l’univers domestique exploré par le dessinateur.

Comme nous sommes face à un livre, une œuvre de l’esprit, dont l’élaboration a été mûrie de longues années durant, nous savons que ces instants-là, qu’ils aient une dimension historique ou qu’ils expriment la banalité du quotidien, n’ont pas été élus de manière arbitraire. Le dessein de l’auteur est, me semble-t-il, de suggérer une forme d’équivalence entre les uns et les autres. Nivellement qui peut obéir à une double motivation : montrer, en premier lieu, que la mémoire humaine ne sélectionne pas les souvenirs en fonction d’une quelconque importance « objective » mais sur la base de résonances intimes ; rappeler, en second lieu, qu’à l’échelle du cosmos et de la nature, par rapport au temps long de l’histoire du monde, de la matière et de la vie, les agissements humains, quels qu’ils soient, apparaissent tous également insignifiants. « Cette région a été plongée sous l’eau pendant des siècles, et elle y replongera sûrement dans un lointain futur... (...) Nous ne sommes là que pour un temps très court », observe, placidement, McGuire [18]. Une image semble évoquer une apocalypse nucléaire, en 2313.

Il explique d’autre part : « J’ai listé inlassablement des conversations entendues ici et là, et me suis mis à isoler et à extraire les phrases uniquement parce qu’elles sonnaient bien, avant de les conjuguer et de les assembler de diverses manières. Cet assemblage est parfois motivé par une thématique commune, et d’autres fois par une communauté de sons [19]. » La musique, à nouveau. Et le mot qui, quelquefois, précède l’image, ou joue sa propre partition.

Les photos de famille constituent une source importante d’Ici. La place donnée à la maternité, à l’enfance et au jeu s’expliquent par le fait que la maison est celle où l’auteur a vécu ses jeunes années, mais aussi parce que les enfants sont, en règle général, les sujets privilégiés de l’archive photographique familiale. Alors qu’il travaillait sur le livre, McGuire a été rattrapé par son histoire personnelle : « Mes parents et ma sœur sont décédés pendant que je faisais des recherches pour ce projet. (…) nous avons dû vendre la maison familiale, et j’ai dû me replonger dans tous ces vieux souvenirs, les photos de famille, les vidéos, toutes ces choses qu’il a fallu déménager et archiver ailleurs. » L’artiste y puisera des images qui l’aideront à être « au plus près » des membres de sa famille, « de leurs gestes, de leurs visages ». La deuxième double page d’Ici (juste après la page de titre) comporte la dédicace « à ma famille », et l’image montre une pièce en train d’être vidée (le meuble de bibliothèque n’est pas encore complètement dégarni). Sur le sol, un unique carton, ouvert. On comprend qu’il est destiné à accueillir les livres qui figurent encore sur les étagères, mais on est tenté d’y voir la boîte d’où vont s’échapper toutes les scènes, tous les souvenirs, toutes les visions qui vont peupler les 300 pages suivantes. À l’autre extrémité du livre, la bibliothèque est vide et le carton est fermé ; autrement dit, il se referme en même temps que le livre.

McGuire a mélangé, aux photos des siens, des images de personnes qui lui sont étrangères. « Un collectionneur de vieilles photos m’a donné libre accès à sa collection. J’y ai pioché des poses, des moments extraordinaires... » Il n’a pas été jusqu’à imaginer, comme Isabelle Monnin dans son livre Les Gens dans l’enveloppe (Jean-Claude Lattès, 2015), l’existence des inconnus figurant sur les clichés. Ici n’est pas un récit biographique, juste une collection d’éclats de vie. D’ailleurs, si la version de 1989 privilégiait un personnage nommé Billy, on ne retrouve pas de semblable focalisation dans la version livresque. (Billy est simplement l’un des quatre membres de la fratrie que l’on voir grandir, deux autres étant désignés par les diminutifs de Mary, Bobby, et le quatrième – qui, vraisemblablement, correspond à l’auteur, restant anonyme. Et il est question d’un autre Billy en 1775.)
Le fait d’avoir utilisé comme matériau source une archive photographique abondante explique sans doute la pudibonderie dont le livre fait preuve. Les êtres que l’on y croise s’y livrent à toutes sortes d’occupations, mais à aucune activité sexuelle (le seul accouplement évoqué concerne des Indiens, en 1609). La naissance, la maladie et la mort sont des sujets abordés dans Ici ; le sexe en est, remarquablement, absent.

La revue en ligne Five Dials a consacré l’intégralité de son n°35 au making-of du livre de McGuire [20]. Joel Smith a eu accès à tous les documents de travail (une photo montre les murs de l’atelier tapissée des pages du livre, encore à l’état de maquettes). Les exemples reproduits montrent la complexité du processus d’écriture, de conception, de réalisation d’Ici : établissement de listes, rédaction d’un « cahier des charges », recherches documentaires, recherches iconographiques, collages, etc.

Les objets et personnages représentés ont presque tous un référent photographique : ils ont été scannés, retravaillés (couleur, matières) et insérés dans la pièce aux endroits décidés. Mais si certaines images ont la froideur du dessin vectoriel et d’un rendu informatique neutre, d’autres ont une dimension beaucoup plus picturale, plus artistique, plus sensible. Il faudrait (je ne le ferai pas ici, pour ne pas être trop long) étudier en détail l’indexation des différentes techniques utilisées – dessin, aquarelle, peinture, Photoshop... – sur les sujets figurés et les époques, leur utilisation en contrepoint, leur mise en tension, etc. Il est certain qu’au kaléidoscope d’images correspond un éventail de styles, et que cette diversité d’écriture produit, chez le lecteur, différents degrés de distance ou d’empathie, différents modes d’appropriation des scènes et d’appréciation des « tableaux ».

« Épouse et n’épouse pas ta maison », écrivait René Char. Richard McGuire a épousé sa maison d’enfance au-delà du raisonnable. Et il a réussi à faire qu’elle soit désormais aussi un peu notre maison, que son histoire personnelle parle pour nous tous.

Thierry Groensteen
(tous droits réservés)

Notes

[1Cf. son article « Une appréciation reconnaissante », Neuvième Art n°12, janvier 2006, pp. 48-49.

[2On le sait peu mais il existe, en vérité, une troisième version, intermédiaire. Elle a été publiée en version allemande, sur 4 pages, dans Strapazin n° 59, en 2000 – et peut-être ailleurs. La couleur y déconstruit progressivement le dessin, à mesure que la mise en page, elle aussi, éclate. Je n’en parlerai pas davantage ici, pour ne pas complexifier inutilement mon propos.

[3« Chris Ware on Here by Richard McGuire - a game-changing graphic novel », 17 décembre 2014, en ligne sur le site du Guardian. URL : http://www.theguardian.com/books/2014/dec/17/chris-ware-here-richard-mcguire-review-graphic-novel. Version française dans Kaboom, n° 8, fév.-avril 2015, pp. 21-23.

[4Thierry Smolderen, « Entretien » [avec McGuire], Neuvième Art, n°12, janvier 2006, pp. 39-47. Cit. p. 41-42.

[5Pour la clarté de la description, je choisis de nommer cadre chacune des six unités de base composant l’espace paginal, et vignette toute image singulière, que celle-ci coïncide avec la totalité du cadre ou n’en occupe qu’un fragment parce qu’elle le partage avec d’autres vignettes.

[6Cf. mon article « Les lieux superposés de Richard McGuire », Urgences, n°32, Montréal, mai 1991, pp. 95-103.

[7Soit, à l’intérieur du deuxième cadre de la quatrième planche, la vignette portant la date 1965.

[8Sur ce procédé en tant que tel, je me permets de renvoyer à Système de la bande dessinée, PUF, 1999, pp. 100-106.

[9« Une appréciation reconnaissante », op. cit., p. 49.

[10Pour plus de détails, voir mon article « La Cage de Martin Vaughn-James et ses avatars contemporains », in Henri Garric (dir.), L’Engendrement des images en bande dessinée, Presses universitaires François-Rabelais, "Iconotextes", 2013, pp. 99-113.

[11Les Mots et les choses, Gallimard, 1966, p. 23.

[12Dans son compte rendu critique « "Ici", entre-temps », Libération, 4 mars 2015.

[13Le critique, ici, est très embarrassé de ne pouvoir renvoyer le lecteur à telle ou telle page, afin qu’il vérifie par lui-même. Les livres non paginés sont un casse-tête pour les commentateurs et, de leur point de vue, ne devraient pas exister.

[14Une version numérique de Here existe aux États-Unis, fonctionnant uniquement sur iPad. L’e-book « peut se lire comme le livre papier, sauf que lorsque le lecteur clique sur les dates, les cases se mélangent de manière aléatoire pour proposer autant d’autres lectures qu’il y a d’agencements de cases possibles. » McGuire interviewé par Stéphane Beaujean, Kaboom, n°8, op. cit., p. 24. Here, première version, avait déjà été adapté en 1991 sous la forme d’une vidéo, visible ici : http://www.sparehed.com/2007/09/17/here/ Consulté le 11 octobre 2015.

[15Op. cit.

[16Balthazar Kaplan, « Ici, maintenant » [en ligne], sur le site du9, avril 2015. URL : http://www.du9.org/dossier/ici-maintenant/

[17L’Association, 2006.

[18Entretien dans Kaboom n°8, op. cit., p. 27.

[19Ibid., p. 26.

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