A ce jour, Emile Bravo a consacré quatre albums au personnage de Spirou [1]. Paru en 2008, Le Journal d’un ingénu s’inscrivait dans la collection « Une aventure de Spirou et Fantasio par… » permettant à des auteurs invités de donner, le temps d’un opus, leur version personnelle du héros fétiche des éditions Dupuis. En 2018 a débuté la publication de la tétralogie L’Espoir malgré tout (ci-après : EMT), dont le dernier tome reste à paraître.
Cette série limitée, annoncée dès 2013, apparaît comme une suite directe au Journal d’un ingénu (désormais JI) qui, rétrospectivement, doit de toute évidence être rattaché au cycle. Cela se vérifie dans la chronologie des faits relatés (JI : été 1939 ; EMT 1 : janvier 1940 ; EMT 2 : automne 1940 ; EMT 3 : été 1942) et dans le fait que le récit de L’Espoir… fait référence aux personnages introduits dans le Journal : dès la sixième planche du tome 1, Spirou reçoit ainsi une lettre de Kassandra, la soubrette dont il est tombé amoureux dans JI, sa collègue de travail au Moustic Hotel, partie en Russie.
L’auteur s’est donc émancipé du cadre de l’aventure unique qui lui avait été proposée initialement et a développé un projet de longue haleine (les trois tomes d’EMT comptent respectivement 88, 90 et 114 pages), d’une grande cohérence, que l’on doit saluer comme une œuvre pleinement personnelle et réussie.
Emile Bravo plonge Spirou dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale, dont il livre une chronique précise, sensible et parfaitement documentée.
Le seul énoncé de ce projet appelle plusieurs commentaires.
Tout d’abord, le dessinateur parisien fait ici, pour évoquer une période de l’histoire contemporaine qu’il étudie de longue date, un pas de côté. Adoptant le point de vue de Spirou, il se déplace vers la patrie de son héros et raconte la guerre telle que les Belges l’ont vécu. Cette translation lui évite, sans doute, de devoir aborder des points particuliers de l’histoire de France (le régime de Vichy, Pétain vs de Gaulle…) qui, aujourd’hui encore, restent sensibles et font débat, comme la campagne présidentielle que nous vivons l’a encore montré. Débarrassé de ces questions politiques, il peut tisser un récit plus neutre et plus universel : la guerre qu’il dessine est avant tout celle des gens ordinaires plongés dans une situation qui ne l’est pas.
La stratégie narrative consistant à montrer des personnages (issus de tous les milieux : paysans, concierges, artistes, journalistes, prêtres, scouts, enseignants…) pris dans le chaos d’événements hors norme sans en connaître la conclusion est identique à celle adoptée par Florent Grouazel et Younn Locard dans Révolution (autre tétralogie historique, sur la Révolution française). Elle est sans doute la plus à même, sinon de restituer, du moins d’approcher la vérité de l’époque.
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Le personnage focal sera donc ici Spirou, un tout jeune homme, sortant à peine de l’enfance, et qualifié dès le premier abord d’ingénu. A en croire le Dictionnaire historique de la langue française (Le Robert), ce mot éveille, dès l’époque classique, « l’idée péjorative de franchise trop naïve, et de candeur un peu sotte qu’il a conservée ».
Spirou n’est certes pas un sot et, s’il fait preuve de naïveté, elle s’explique par son âge et son peu d’instruction. Ce qui intéressait Bravo, c’était de montrer comment un enfant – malléable, vulnérable, non fini – se construit, et de donner une explication au fait que Spirou soit passé du personnage sans conscience ni épaisseur de ses débuts (sous le crayon de Rob-Vel puis de Jijé) à l’aventurier humaniste que décrit Franquin à partir de 1946-47 [2]. Sa réponse : c’est la guerre qui aura précipité cette évolution. Les événements qu’il aura traversés auront fait grandir Spirou plus vite , notamment la rencontre de personnes qui auront su éveiller sa conscience, au premier rang desquels la jeune Kassandra et Anselme, le fermier. Ses qualités naturelles de garçon « sensible et vaillant » (JI, p. 36) se seront épanouies, en même temps qu’il aura perdu son innocence et son insouciance.
Pourtant cette évolution accélérée vers sa maturité d’homme et de citoyen est aussi contrariée. En l’occurrence, elle ne peut s’accomplir que contre Fantasio, qui incarne l’opposé et apparaît comme le prototype même du jeune écervelé, futile et irresponsable, considéré par ses collègues journalistes comme le « clown de service ». Spirou ne peut grandir et s’affirmer qu’en s’opposant à son ami. Dans EMT 1, lui-même le traite de « triple andouille », de « monsieur catastrophe » et, par deux fois, de « cornichon ».
Son ingénuité initiale n’est pas seulement politique, elle est aussi sentimentale. Notre tout jeune homme n’a encore aucune expérience des femmes, comme le lui fait du reste remarquer Kassandra dès la quatrième planche (page 8) du Journal d’un ingénu. Les sentiments qu’il ne tarde pas à éprouver pour elle transpercent pour la première fois à la page 22. Il en obtiendra un premier baiser page 37, un second page 56, et quand les événements les séparent, même si leur amour n’a pas été consommé, il est décidé à lui rester fidèle pour la vie. De fait, elle ne cessera d’occuper ses pensées durant toutes les années de guerre, au grand dam de la jeune Mieke (l’une des filles d’Anselme) qui a des sentiments pour lui.
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C’est donc l’histoire d’une double éducation, politique et sentimentale.
Plonger rétrospectivement Spirou dans la guerre, c’est, au fond, réparer la manœuvre d’évitement qui avait été appliquée à l’époque aux deux héros les plus emblématiques de la BD belge. Bécassine, elle, avait pris part aux événements de la Première Guerre mondiale ; et les Pieds Nickelés étaient eux aussi devenus alors des champions de la lutte contre les « Boches ». Au contraire, de 1939 à 1945, ni Spirou ni Tintin n’ont paru concernés par le conflit qui saignait l’Europe, vivant l’un et l’autre des aventures « hors sol ».
Emile Bravo recouvre donc cette période précoce de la carrière du groom par un nouveau récit. Il montre que ce sont ces événements historiques exceptionnels, jusqu’ici occultés, qui ont révélé Spirou à lui-même, qui lui ont permis d’accoucher de son personnage.
De même, en le « fiançant » dès le plus jeune âge, il concède au personnage une vie sentimentale dont celui-ci – bienséance des héros destinés à la jeunesse oblige – a longtemps été privé (jusqu’aux albums de Tome et Janry)
Dans un livre récent, j’ai montré comment, dans les séries « accumulant les albums autour d’un même personnage », le temps est, en règle générale, tout à la fois un temps immobile (le héros ne change pas), un temps cumulatif (la série accumule et conserve une mémoire des épisodes déjà publiés) et un temps évolutif (« autour des personnages, le décor change, le monde se modernise ») [3]
Sous cet aspect, le Spirou d’Emile Bravo présente une forte singularité, et pas uniquement parce que la succession des albums constitue, non une série d’aventures plus ou moins indépendantes, mais un seul et même grand récit arbitrairement découpé en plusieurs tomes (et qui fera peut-être quelque jour l’objet d’une intégrale). Le temps y est évolutif puisqu’il s’agit d’un temps historique, dont l’auteur restitue d’assez près la trame événementielle. Mais il n’est pas immobile, le héros changeant au contraire de façon très rapide. Et par ailleurs, l’œuvre prend en compte une temporalité extra-diégétique, qui est l’histoire éditoriale de la série. En choisissant 1939 comme point d’insertion, Bravo se place un an après la création de Spirou par Rob-Vel (auquel il emprunte le personnage du chef portier Entresol). Il cherche, on l’a vu, à motiver sa transformation – proprement une redéfinition – dans les années de l’immédiat après-guerre. Et quand il met en scène, dans EMT 2, la tournée du petit théâtre de marionnettes créé par Spirou et Fantasio, qui animent des poupées à leur propre effigie et portant leurs noms mêmes, il fait implicitement référence au « Petit Théâtre de Spirou », théâtre de marionnettes fondé par André Moons et Jean Doisy en décembre 1942, qui lui aussi sillonna la Belgique (à cette différence près que Fantasio n’y apparaissait pas, puisqu’il n’interviendra dans les aventures de Spirou qu’à partir de 1944). Mieux : dans la fiction comme dans la réalité historique, ce théâtre est lié aux activités de la Résistance [4]. Quand, dans EMT 3, Fantasio se voit établir des faux papiers, son nom d’emprunt est celui d’André Moons. (Il est, bien sûr, impossible de ne pas songer aussi au spectacle de guignol dans La Grande Vadrouille, dont la marionnettiste, jouée par Marie Dubois, aide les aviateurs anglais à se cacher.)
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Le pari d’Emile Bravo, c’est, à l’heure où les témoins directs de la Seconde Guerre mondiale disparaissent, de raconter ces événements dramatiques aux jeunes d’aujourd’hui, de s’en faire à son tour le passeur, d’en entretenir la mémoire, à travers un médium et un héros populaires. Son découpage classique, sa narration fluide, sa capacité à introduire de l’humour dans les évocations les plus sombres (Fantasio se révélant sur ce point un atout indispensable), son dessin simple, proche de l’enfance, qui échappe à tous les stéréotypes de la mise en scène épique du récit d’aventures, mettent ses livres salutaires et nécessaires à la portée du plus grand nombre.
Aucun aspect de ces années sombres n’est éludé. Le récit illustre les opinions contradictoires dans la population au sujet du pacifisme, du nationalisme, des communistes ou des Juifs. La diplomatie secrète (JI), la condamnation par les nazis de « l’art dégénéré », les réquisitions, la presse aux ordres de l’occupant, les partisans de « l’ordre nouveau » (rexistes et Ligue nationale flamande), le travail volontaire en Allemagne (EMT 1), l’ambivalence des autorités religieuses, le ghetto de Varsovie, les arrestations arbitraires et les rafles, le port de l’étoile jaune, les rumeurs concernant l’existence des camps, la déportation (EMT 2), les exactions de la Gestapo, la torture infligée aux prisonniers, les bombardements des Alliés et leurs victimes civiles, la défense passive, le Service du Travail Obligatoire, le gouvernement en exil (EMT 3) : autant de sujets dont Emile Bravo traite sans didactisme ni lourdeur démonstrative, réussissant à les intégrer à sa trame narrative. Ce naturel, cette fluidité, sont le résultat d’un travail de scénarisation que l’on doit saluer comme remarquable. Jusqu’à ce que Bravo démontre le contraire, on n’aurait tout simplement pas cru possible d’aborder des thèmes aussi lourds dans une série de bande dessinée pour le grand public, existant depuis plus de quatre-vingts ans et devenue patrimoniale.
Mais justement, cette chronique des années de guerre n’aurait pas été aussi réussie et efficace si le dessinateur n’avait pas choisi le prisme d’une conscience, celle de Spirou. Les leçons que celui-ci ne cesse de recevoir s’adressent au lecteur autant qu’à lui. Nous apprenons, nous comprenons avec lui, grâce à lui. Il est le parfait médiateur.
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Ce sont, du reste, des leçons de toutes sortes. Je trouve particulièrement intéressant le fait que, dans un contexte où nombre d’individus doivent agir masqués, dissimuler leur identité et leurs agissements pour espérer avoir la vie sauve, Bravo montre combien il faut se méfier des préjugés, des jugements précipités, et comme les êtres sont capables de se montrer autres qu’ils ne paraissent. Une institutrice un peu mièvre (Madeleine) se révèle ainsi une Résistante capable de donner sa vie pour la cause et de ne pas trahir sous la torture ; un paysan (Anselme) qui ne quitte jamais sa ferme et porte un débardeur Marcel se montre des mieux informés et des plus clairvoyants, expliquant l’antisémitisme (EMT 1, p. 81) aussi bien que la royauté (EMT 3, p. 65) ; et Fantasio lui-même, si hâbleur, gaffeur et irréfléchi qu’il soit, est pourtant capable de garder des années durant le secret sur la nature des activités auxquelles le théâtre de marionnettes sert de couverture.
Il faut reconnaître, s’agissant de ce dernier point, que sur ce coup-là le lecteur a une bonne longueur d’avance sur Spirou, qui paraît à nouveau bien ingénu. A la fin du troisième tome de l’Espoir…, notre ex-groom (qui a depuis longtemps abandonné l’uniforme de ce premier emploi ; seule sa marionnette le porte encore) découvre qu’il évolue au milieu de membres de deux réseaux distincts de Résistance, sans qu’il en ait jamais rien soupçonné. Cette révélation un peu artificiellement différée a tout de même une justification : son jeune âge est cause que, pour éviter de le compromettre, on l’a maintenu dans l’ignorance.
Le motif du train occupe une place importante dans le récit d’Emile Bravo, et singulièrement dans les scènes introductives et conclusives des albums de la tétralogie. EMT 1 s’ouvre sur une vue assez anodine d’une rue de Bruxelles ; on voit Spirou descendre d’un tramway. A la fin du volume, l’intrigue reste en suspens au moment où Fantasio s’est installé à bord d’un train en partance pour l’Allemagne, où il prétend aller travailler. Le tome 2 s’ouvre sur le contrechamp de cette image : le train est encore à quai. Il se referme sur la vue sinistre d’un train de déportés à bord duquel Spirou est monté en compagnie de deux enfants. L’incipit du tome 3 montre le même train fonçant dans la nuit. Et cet avant-dernier volume interrompt le récit sur un suspense insoutenable : Fantasio est sur le point de faire sauter le train que l’on voit entrer dans l’image, alors que celui-ci n’est pas le bon : au lieu de transporter des renforts SS, il envoie des malheureux vers les camps.
On peut émettre l’hypothèse que ce procédé revient à accrocher les livres les uns aux autres comme des wagons. Mais il semble que le train représente surtout ici, symboliquement, la destinée commune de ceux qui semblent entraînés inexorablement vers une fin tragique, une mort annoncée. Le tome 3 n’a-t-il pas pour sous-titre « Un départ vers une fin ? »
L’œuvre d’Emile Bravo mêle relativement peu de figures historiques à ses héros fictifs. Les principaux sont Félix Nussbaum et son épouse Felka Platek, couple de peintres juifs allemands installés à Bruxelles depuis 1937. L’internement de Félix au camp de Saint-Cyprien et l’aide fournie par son ami sculpteur Dol Ledel, évoqués dans les albums, furent des événements bien réels. Si Bravo ne mentionne Félix et Felka que par leurs prénoms, les tableaux du premier sont montrés à plusieurs reprises et facilement reconnaissables, en particulier son tristement célèbre Autoportrait à l’étoile jaune de 1943 (EMT 3, p. 81).
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Un autre peintre, Belge celui-là, apparaît plus fugitivement, dans la scène du Vieux Marché (EMT 3, p. 47-48) : c’est René Magritte, appelé « M’sieur René » par le brocanteur. Cette scène elle-même renvoie par ailleurs, comme n’auront pas manqué de le relever tous les tintinophiles, au Secret de la Licorne.
Par ailleurs, le réseau Comète (EMT 3, p. 88 et 92) a bel et bien existé. Il s’agissait d’une filière d’évasion vers l’Espagne qui bénéficia à plus de 600 personnes. Il fut dirigé par une jeune femme, Andrée De Jongh, qui a sans doute inspiré à Emile Bravo le personnage de Madeleine Colin.
Une autre notion que celui d’ingénuité est appliquée à Spirou, celle d’angélisme. Après lui avoir donné du « mon bichon », Felka se met, dans EMT 3, à l’appeler systématiquement « mon ange » (cf. p. 21, 23, 41 et 42), un petit nom que lui applique aussi la religieuse de l’hôpital (EMT 3, p. 74). La récurrence de ce qualificatif n’est certainement pas fortuite, elle conduit bien à la question de l’angélisme que l’on peut prêter à notre héros quand, dans les dernières pages de l’album, poussé à entrer dans la résistance armée, il déclare : « Je ne suis sûr que d’une chose : JE NE VEUX TUER PERSONNE » (EMT 3, p. 103). Doit-on voir dans ces mots un refus des réalités, une dérobade face aux exigences de l’heure, ou l’affirmation d’une ligne de conduite des plus respectables, longuement mûrie et qui révèle le fondement de sa personnalité ? A chacun d’en décider. Ce qui est certain, c’est qu’en invoquant l’objection de conscience, Spirou se définit à cet instant comme un être profondément moral, qui, quelles que soient les circonstances, ne transigera pas avec ses valeurs, quitte à susciter l’incompréhension ou la réprobation de ses proches. Fantasio l’avait déjà traité de « père la morale » (EMT 2, p. 51), Mieke voit en lui un scout et un cul-bénit.
Le côté « boy-scout » prêté ici à Spirou le rapproche implicitement de l’autre grande figure de la BD belge, à laquelle cette désignation colle à la peau, j’ai nommé Tintin. Non sans malice, Emile Bravo multiplie les allusions à Tintin, dont Spirou, comme tant de jeunes Belges à l’époque, lit les aventures dans Le Petit Vingtième. On l’appelle Tintin quand il s’habille comme le célèbre reporter (JI, p. 29), et la comparaison tourne ensuite au running gag (EMT 1, p. 61 et 64 ; EMT 3, p. 52). Au-delà de l’ironie, ce rapprochement insistant entre les deux personnages mythiques invite à une réflexion sur l’héroïsme et la pureté comme qualités emblématiques du héros archétypal.
Fantasio, de son côté, fait penser à Haddock quand, dans EMT 2 (pages 7 et 12), il se repent d’avoir égoïstement mangé toutes les vivres qui restaient pour deux. Il pleure à chaudes larmes et clame « je suis un misérable », exactement comme le capitaine dans Le Crabe aux pinces d’or, après qu’il ait brûlé les rames du canot de sauvetage dans lequel Tintin et lui fuient le Karaboudjan. D’ailleurs, l’amitié que Spirou noue ici avec Fantasio se construit sur des bases aussi improbables que celle de Tintin avec le capitaine : les deux héros ne se choisissent-ils pas des compagnons qui les mettent constamment en danger ?
Le duo savoureux que Spirou forme avec Fantasio, auquel tout semble d’abord l’opposer, la dynamique de leur relation constituent un élément moteur du récit. L’une des plus grandes réussites de Bravo est de s’être pleinement approprié ces deux personnages déjà passés entre tant d’autres mains, de les avoir comme recréés de l’intérieur, avec beaucoup d’empathie et de sensibilité. Son Spirou n’est pas le héros bondissant et parfois un peu creux qui nous est familier ; c’est un être à la fois vulnérable et déterminé, astucieux et compatissant, mais surtout un garçon qui pense, qui souffre et qui s’interroge. L’assurance qu’il gagne au fil des événements se marque subtilement dans son évolution physique. Pour ce qui est de Fantasio, Bravo lui donne une dégaine extraordinaire, avec sa haute silhouette dégingandée, son sur-jeu permanent, ses mimiques irrésistibles, sa touffe de cheveux indisciplinée, son goût de la sape et du déguisement. (Comme la plupart des grands personnages comiques, Fantasio adore changer d’aspect ; il se travestit même en vieille dame, façon Madame Adolphine ou Prudence Petitpas – JI, p. 43-45.)
A eux deux, ils forment un couple de fiction parfait, permettant de jouer sur tout le clavier des émotions. On peut toutefois observer que Fantasio fait moins le clown dans EMT 3, à la tonalité générale plus sombre. La guerre y prend un tour plus dramatique ; nos amis voient certains de leurs proches être déportés ou même mourir. Les pitreries ne sont plus de saison.
« Réjouir des enfants avec des images est tout à fait louable », assure Félix alors qu’il envisage d’illustrer des livres pour la jeunesse (EMT 2, p. 11). Le Spirou d’Emile Bravo est propre à réjouir des lecteurs de tous âges, à les captiver et à leur donner à réfléchir.
Thierry Groensteen
07.02.22
(Texte inédit. Tous droits réservés.)