CRAYON AU POING – GUILLAUME TROUILLARD A ROME – QUAND LES HEROS SE MARIENT – CATHERINE MEURISSE – IMAGES CENSURÉES – BAUDOIN, LES AFRICAINS ET LES INUITS – MYTHOPOEIA ET GASTON LAGAFFE – KRAZY KAT À L’ECRAN...
28.04
Dans le cadre du colloque Cinéma (d’animation !) et bande dessinée. Vocation(s) intermédiale(s) ou soubresauts identitaires ?, qui s’est tenu à Angoulême du 30 mars au 1er avril 2022 et auquel je n’ai pu assister qu’en partie, le jeune chercheur québécois John Harbour a rappelé que la bulle, procédé emprunté au langage de la BD, a été utilisée dans les films d’animation muets pour accueillir le dialogue. Elle apparaît sur les écrans vers 1915, quand le cinéma d’animation commence à se narrativiser, pour être délaissée vers 1925-26, soit avant que le cinéma devienne sonore. L’avantage de la bulle sur l’intertitre, qu’avait déjà signalé Alain Boillat, c’est qu’elle n’interrompt pas le cours de la narration puisqu’elle inscrit le texte au sein de l’image même.
Parmi ces dessins animés des premiers temps, la première série des courts métrages de Krazy Kat présente, sous cet aspect, un intérêt particulier. Avant d’expliquer pourquoi, je rappellerai que Krazy Kat fut porté à l’écran dès 1916 (soit trois ans après la création de la série dans les journaux) sous l’impulsion de William Randolph Hearst, éditeur du strip, et par son propre studio, International Film Service, que dirigeait Gregory LaCava. Plusieurs réalisateurs allaient se partager l’animation, dont Frank Moses et Leon Searl (Searle à l’état civil ; ce dernier était lui-même auteur de divers newspaper strips entre 1905 et 1917, dont le plus durable fut Mrs Timekiller) ; Herriman ne prit aucune part à leur conception.
Hearst utilisait les cartoons comme vecteur promotionnel censé accroître la popularité des strips dont il était le propriétaire et qu’il cherchait à vendre au plus possible de journaux à travers le pays, via le King Features Syndicate. En bénéficièrent, dans cette période, The Newlyweds de McManus, Mutt and Jeff de Fisher ou encore The Katzenjammer Kids de Dirks. Entre toutes ces séries, c’est Krazy Kat connut le plus grand nombre d’épisodes : une vingtaine de petits films (d’une durée de 2 à 4 minutes) furent produits en 1916, sept de plus l’année suivante. Cela ne suffit pas à faire de la géniale création de George Herriman une œuvre populaire.
La carrière cinématographique de Krazy Kat ne s’arrêta pourtant pas à cette première série de films. D’autres dessins animés furent produits à différentes périodes, globalement de moins en moins fidèles à l’esprit original et au graphisme si particulier d’Herriman. Dans ceux réalisés par Bill Nolan à partir de 1925, Krazy ressemble à Félix le chat. Dans ceux de Charles B. Mintz au début des années trente, il ressemble à Mickey.
Revenons donc à ceux de la toute première série (1916-17 ; je n’ai pas pu voir le film inaugural, Introducing Krazy Kat and Ignatz Mouse). Ce qui est frappant, dans l’usage qui y est fait de la bulle, c’est que le texte lui-même est animé. Un peu comme dans un karaoké, où les mots apparaissent sur l’écran puis s’effacent pour laisser place aux suivants, le texte des répliques émises par les personnages apparaît de manière progressive, processuelle. On voit les lettres se former « toutes seules », les unes après les autres, selon un rythme conçu, on l’imagine, pour épouser celui de la lecture.
Cependant les animateurs tâtonnent encore et, d’un film à l’autre, ils testent différentes solutions. Ainsi, dans Krazy Kat and Ignatz Mouse discuss the letter ‘g’ (troisième film de la série ; en ligne ici : https://www.youtube.com/watch?v=O2jn4cP5cGY), l’affaire se déroule en trois temps. On voit d’abord le personnage bouger lèvres et mâchoires. Il est manifeste qu’il parle, mais l’on ne peut ni entendre ni lire ce qu’il dit. Quand il a fini sa phrase, il s’immobilise et c’est alors seulement que le texte apparaît, comme la traduction a posteriori de ce qui vient d’être énoncé. La manifestation graphique des mots n’est pas synchrone de leur émission, mais vient après. Et dans un dernier temps apparaît le tracé de la bulle qui vient se refermer autour des mots et dont l’appendice pointe vers le personnage, confirmant que la phrase que nous venons de lire peut lui être attribuée.
Dans Krazy Kat, Bugologist (7e film ; https://www.dailymotion.com/video/x2vlk), les étapes s’ordonnent différemment. Les personnages se figent toujours quand ils vont parler, mais ils n’ont plus remué les lèvres au préalable. Leur corps s’immobilise et sitôt apparaît le tracé de la bulle, ce qui permet de savoir que tel personnage est sur le point de parler. C’est ensuite à l’intérieur de ce sac déjà formé que les mots viennent s’inscrire, toujours progressivement.
Sans même porter attention à ces détails, ce qui est frappant dans ces films est le fait que les deux composantes de la bande dessinée, l’image et le texte, sont animées l’une et l’autre, mais en alternance. Quand les corps bougent, ils ne parlent pas. Quand ils parlent, ils sont frappés d’immobilité : plus rien ne se passe dans l’image qui pourrait distraire de la lecture des mots.
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25.04
Depuis la fin de l’année 2021, Harry Morgan a entrepris de publier sur son site The Adamantine une nouvelle version, profondément remaniée, de sa thèse de doctorat soutenue en 2008 sous le titre Formes et Mythopoeia dans les littératures dessinées, qui était restée inédite. Annie Renonciat avait dirigé ses recherches, et je faisais partie de son jury, avec Jan Baetens, Anne-Marie-Christin, Jacques Dürrenmatt et Laurence Grove.
L’un des mérites de son travail était de renouveler de façon significative la connaissance des quatre œuvres qui composaient son corpus, à savoir Little Orphan Annie, de Harold Gray, The Fantastic Four, de Stan Lee et Jack Kirby, Zig et Puce, d’Alain Saint-Ogan, et enfin l’ensemble de la production dessinée de Jean-Claude Forest.
Je voudrais seulement ici rebondir sur un ou deux points abordés dans l’introduction de la nouvelle version en ligne (dont le titre est à présent Mythopoeia : la création du mythe dans les littératures dessinées ; il s’agit à proprement parler d’un nouveau livre, avec des morceaux de thèse dedans), que le lecteur intéressé trouvera ici : http://theadamantine.free.fr/mythopoeia0.htmlhttp://theadamantine.free.fr/mythop....
Il faut sans doute commencer par dire quelle est la thèse principale qui sous-tend l’ensemble de ce travail. Je cite Morgan : « Notre postulat est que les littératures dessinées, et les univers singuliers dans lesquels elles déploient leurs récits, sont déterminés par les conditions mêmes qui les font naître. Le maître mot est ici celui de matérialité. La matérialité du dessin, la matérialité du dispositif imagier déterminent la physionomie même de l’univers dessiné, et les lois qui le régissent. »
L’hypothèse est conforme à un principe plus général, selon lequel les créateurs qui choisissent comme forme d’expression la bande dessinée le font parce qu’elle « permet de dire des choses qui ne peuvent être dites d’aucune autre manière ». Cette idée, à laquelle croit Harry Morgan, selon laquelle chaque médium possède un « génie propre » est précisément celle dont j’ai, pour ma part, retracé la généalogie et montré la persistance contemporaine dans mon petit essai L’Excellence de chaque art (Presses universitaires François Rabelais, collection « Iconotextes », 2018).
Mais revenons à la matérialité du dessin. Dans son introduction, Morgan explique, sans trop s’y attarder, que « le dessin crée son propre monde à partir du geste traceur » et que, par voie de conséquence, la mimesis ne se borne pas à sa fonction d’imitation mais procure au lecteur « une forme d’expérience ». C’est une idée que je crois très juste et dont la théorie a jusqu’à présent eu du mal à rendre compte.
Là où elle se trouve le mieux illustrée, c’est peut-être sous le crayon d’un Olivier Josso, qui, dans Au travail (L’Association, t. 1 : 2012 ; t. 2 : 2017), nous a fait comprendre comment il a trouvé dans les bandes dessinées qui ont bercé son enfance – celles de Franquin, Morris et Hergé notamment – « un refuge, une passion, des univers, à la fois étranges et familiers » (selon les mots de Frédéric Hojlo à propos de cet ouvrage). « Longtemps, la bande dessinée a été un endroit dans lequel je projetais des choses personnelles, où j’inscrivais ma propre histoire », explique Josso. La lecture d’un récit dessiné vécue comme une expérience, une projection dans un univers qui a sa propre forme, sa propre consistance, sa propre physionomie, et qui double la réalité sur un plan à la fois intime et mythique, voilà ce dont il est question, et l’on espère trouver sur ce point précis dans la suite de Mythopoeia des approfondissements.
Ceci me conduit maintenant à une tout autre considération.
Morgan écrit : « La lecture d’une œuvre dessinée un peu ancienne est pour un lecteur peu lettré tout simplement impossible (de même qu’un spectateur au faible capital culturel est incapable de voir un film muet, ou même simplement un film en noir et blanc). La seule exception est précisément une œuvre découverte dans l’enfance, et qu’on a appris à lire alors comme on apprenait à lire tout le reste. Quelqu’un qui a lu enfant un album de Töpffer ou de Christophe, un volume de Bécassine, de Zig et Puce, ou de Bicot président de club, pourra encore le lire adulte. Mais il n’arrivera pas à le faire lire à ses propres enfants ou aux enfants de son entourage. »
Ce constat appelle deux questions :
1° Certaines œuvres (les aventures de Tintin, par hypothèse) résistent-elles mieux que d’autres au temps ? Pour quelles raisons ?
2° Au bout de combien de temps une œuvre se trouve-t-elle frappée d’obsolescence ? Peut-on fixer sa date de péremption ? A quel moment devient-elle illisible pour le grand public ?
Voilà un débat qui devrait intéresser les éditeurs attachés à perpétuer les aventures de personnages créés dans les années 1940, 50 ou 60, comme Astérix, Blake et Mortimer, les Schtroumpfs, Ric Hochet, Lucky Luke ou Buck Danny.
— En réponse à une question qui lui était posée lors d’un récent colloque sur la bande dessinée et l’animation, sur lequel je reviendrai dans mon prochain billet, Benoît Peeters s’était emporté contre cette industrie d’embaumeurs qui refuse, contre toute raison (autre que commerciale), de croire en la solidarité d’une œuvre avec son temps, et prétend avoir trouvé le secret de la jeunesse éternelle.
La récente polémique autour de la reprise de Gaston Lagaffe par Delaf a encore donné au phénomène une triste actualité. On est consterné quand le dessinateur auquel les éditions Dupuis ont confié cette mission explique : « J’ai décidé de me constituer une base de données. J’ai découpé patiemment toutes les planches originales de Franquin, et j’en suis arrivé à 10 000 petits fichiers que j’ai tagués pour y retrouver facilement les références à des objets, personnages, décors ou attitudes. (…) Pour une planche, je peux avoir jusqu’à 300 références sur l’écran latéral de mon ordinateur. » (Spirou n° 4382, 6 avril 2022, p. 4.) Le puzzle comme procédé de contrefaçon, voilà ce qui nous est proposé pour perpétuer l’œuvre d’un génie dont le dessin était au contraire jaillissement et énergie pure. Delaf n’est pas maladroit mais s’enferme d’entrée de jeu dans la peau du technicien méthodique, appliqué, et l’on ne voit pas comment il pourrait en résulter autre chose qu’un produit fabriqué, dépourvu de nécessité, de spontanéité, d’authenticité.
Il est vrai que Franquin a déjà dû se retourner dans sa tombe en voyant le non moins triste sort que les éditeurs ont réservé au Marsupilami, son autre création la plus personnelle. Dans ce même numéro de Spirou qui a vu le retour de Gaston, Batem et Désert en faisaient un pitoyable animal de cirque.
Un appel au boycott de ces produits frelatés n’aurait, je le crains, guère de chance d’être entendu.
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22.04
Dernière des quatre expositions qui auront jalonné la « Belle Saison » d’Edmond Baudoin, Du portrait au masque est présentée depuis le 2 avril et jusqu’au 19 juin au musée d’Angoulême, plus précisément à l’étage consacré aux arts d’Afrique et d’Océanie, point fort de la collection municipale. Elle consiste en une série de grands dessins inédits réalisés par Baudoin, interrogeant le devenir-masque du visage africain. Certains de ces dessins sont accrochés à proximité immédiate des masques qui les ont inspirés.
Dans son intention initiale, cette exposition aurait dû être tout autre. En effet, Baudoin et Troubs devaient séjourner dans le grand nord canadien, chez les Inuits, au cours de l’été 2021. Les deux dessinateurs, dont les voyages effectués en complicité ont déjà donné le jour à plusieurs livres, auraient résidé dans le village de Qappik, où vivent plusieurs artistes locaux, notamment des femmes. La pandémie les a contraints à différer ce voyage d’un an. Mais, quand ils iront sur place, la « Belle Saison » sera arrivée à son terme. C’est pour cela que l’exposition s’est orientée dans une direction différente. Même si Troubs, de son côté, a anticipé en dessinant une séquence inspirée d’une légende inuite, que l’on peut voir dans l’ancienne chapelle, au même étage du musée (ancien évêché).
Il y a du reste des convergences à trouver entre l’art inuit et l’art aborigène ou d’Océanie, comme l’avait illustré l’exposition « Grand Nord/ Grand Sud », présentée à l’abbaye de Daoulas (Finistère) en 2010.
Le projet d’aller à la rencontre des Inuits et de leur pratique graphique date, pour Baudoin, du début des années 2000, quand il enseignait la bande dessinée à Hull. Il avait découvert que les peuples de l’Arctique canadien ne connaissaient pas la bande dessinée et il s’était mis en tête de les familiariser avec ce langage qui pouvait représenter pour eux une nouvelle manière de mettre en images leurs récits mythologiques. [Pour être exact, il y a bien un peu de bande dessinée qui, depuis, s’est fait là-bas. En témoigne le volume Arctic Comics. Non pas la première édition, parue en 1986 chez AbeBooks, qui comprenait trois histoires écrites et dessinées par Nick Burns (professeur de dessin à l’Arctic College), mais celle, éponyme, de 2016 chez 49thShelf, qui fait place à cinq autres artistes, parmi lesquels la graveuse, peintre et illustratrice inuit Germaine Arnaktauyok (née en 1946).]
Dans ce projet de résidence sur le point de se concrétiser, Baudoin et Troubs s’appuient sur l’amicale expertise de Vincent Marie. Cet historien de formation enseigne le cinéma mais il est aussi un spécialiste de la bande dessinée, auquel on doit en particulier des travaux et des expositions sur la Grande Guerre, l’Egypte ancienne et les Migrants dans la BD. Vincent Marie a terminé récemment un documentaire sur son frère Laurent, plongeur en apnée, intitulé Les Harmonies invisibles (production Les Films de la pluie). Ce film a été tourné dans l’Arctique. Il illustre un conte inuit sur le narval et comprend des dessins d’Andrew Qappik. Graveur et sculpteur, ce dernier est l’un des artistes inuits jouissant de la plus grande notoriété internationale. Les autres dessins apparaissant dans le film sont… d’Edmond Baudoin.
Un « livre d’images », qui a aussi pour titre Harmonies invisibles, a été édité – à 350 exemplaires – en mars par l’association nîmoise Anima (ISBN : 978-2-9559754). Comme en prélude à l’album que Baudoin et Troubs ne manqueront pas de réaliser ensemble à l’issue de leur séjour, ce volume fait dialoguer, sans texte, les œuvres graphiques de Baudoin, Qappik et Marie lui-même, autour des légendes entourant le Narval, auquel sa défense torsadée a valu le surnom de licorne des mers. Au fil des 84 pages, entre illustration et bande dessinée, une nouvelle poétique s’invente, un récit se tresse, établissant un pont entre deux cultures.
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18.04
Quel est le point commun entre Cy, Gaudelette, Jens Harder, Luz, Mix & Remix, Morris, Fabrice Neaud, Pixel Vengeur, Plantu, Rupert & Mulot, Ville Ranta, Willem et Zep – et quantité d’autres de par le monde, dont les noms sont inconnus du public français ?
Réponse : tous ces dessinateurs ont été victimes, en ce début de XXIe siècle, de censure ou d’intimidation.
Yves Frémion publie chez Gallimard (collection « Alternatives ») un essai richement illustré intitulé Images interdites. Ce titre était déjà celui d’un précédent livre publié en 1989, cosigné avec Bernard Joubert. Le nouvel opus en est une sorte de continuation, qui se focalise sur les vingt dernières années, répertoriant les pressions et interdictions ayant frappé les œuvres de toutes sortes, non seulement les bandes dessinées et dessins de presse mais aussi des affiches, photos, films, peintures ou spectacles. Le panorama est accablant : « Des milliers d’images sont attaquées, détruites, prohibées, et leurs auteurs et diffuseurs harcelés, condamnés, interdits de travailler quand ce n’est pas assassinés ».
L’attentat contre la rédaction de Charlie hebdo a évidemment ici valeur de symbole et restera longtemps le comble tragique de la fureur iconophobe.
Frémion organise son livre en une série de rubriques qui ne dessinent pas forcément un plan très clair (les « fous de censure », les autorité en place, les « usurpateurs de censure », les diffuseurs de culture, le « politiquement correct », les images de marque…) et très brièvement introduites. On ne cherchera pas dans ce livre des réflexions très abouties sur les nouvelles formes de l’intolérance ; fidèle à lui-même, l’auteur livre un travail de compilateur, qui bénéficie d’ailleurs largement de la rubrique collective « 12 bulles dans la peau » dans le magazine Papiers Nickelés, dont il est la cheville ouvrière.
Images interdites a pour mérite de ne pas laisser perdre la mémoire de toutes les occurrences contemporaines de la censure, d’éviter qu’elles soient banalisées. Le livre, par ailleurs, vaut par son iconographie, puisque la presque totalité des images frappées y sont reproduites – ce qui, dans bien des cas, permet d’ailleurs d’apprécier leur innocence.
Mais rien n’est plus fluctuant, plus soumis aux aléas idéologiques, que les critères du dicible et du représentable.
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14.04
J’ai trouvé de l’intérêt à suivre la masterclass de Catherine Meurisse pendant le FIBD. Elle a notamment évoqué son travail à Charlie hebdo, expliquant que la colère qui est au cœur du dessin de presse « fait dessiner rageusement ». Elle voit, à juste titre, une grande différence entre l’art du dessin de presse, qui est fondé sur la condensation (il faut tout exprimer en un dessin), et celui de la bande dessinée, qui consiste à « dérouler la pelote ».
Cependant on ne peut pas dire que la manière dont elle dessine ses personnages soit substantiellement différente quand elle commente l’actualité et quand elle produit un roman graphique.
S’il est une question dont je regrette qu’elle ne lui ait pas été posée, c’est celle de sa dette envers Claire Bretécher. Sans doute, l’autrice des Grands Espaces et de Moderne Olympia a déjà eu l’occasion d’exprimer toute son admiration pour son aînée, à laquelle elle reconnaît notamment le « génie des postures » et un mélange unique d’insolence et d’indolence. Comme Bretécher, Catherine Meurisse multiplie les esquisses pour parfaire les attitudes et les expressions de ses petits personnages, dont le tracé pourtant paraît très spontané. Mais je ne l’ai jamais entendue dire qu’elle se sent graphiquement l’héritière directe de la géniale dessinatrice des Frustrés ; or, quand je regarde ses albums, la filiation me saute aux yeux ; les personnages de l’une m’apparaissent comme les cousins directs des personnages de l’autre.
Leurs livres respectifs sont, naturellement, d’inspiration différente, et je voudrais souligner ici l’opposition qui me paraît essentielle : Meurisse tente désormais une fusion entre des pratiques artistiques que Bretécher, pour sa part, a toujours maintenues séparées.
La créatrice d’Agrippine se plaisait, en effet, à réaliser des portraits (et des autoportraits) au pastel, et elle y faisant montre d’une habileté certaine (voir notamment le recueil de ses Portraits paru chez Denoël en 1983, avec un avant-propos d’Umberto Eco et un commentaire de Daniel Arasse, excusez du peu). Il ne s’agissait toutefois que d’un à-côté de son œuvre, rarement montré, dont elle s’expliquait en ces termes : « … gratter léché, ça détend, sortir des cases ça aère, tripoter des couleurs ça réjouit… [1] »
Dans ses planches de bande dessinée, rien ne transparaissait de cette production plus artistique. Il n’y avait pas de place pour elle. Comme l’avait écrit Arasse, « les dessins laissent parfois entrevoir un raffinement de l’expression que l’efficacité de la bande exclut. Car cette subtilité, cette douceur presque, ouvre une brèche qui peut coûter cher. » (Portraits, op. cit., p. 89)
Il en va tout autrement pour Catherine Meurisse. Formée à l’école Estienne puis à l’École nationale supérieure des arts décoratifs, celle qui n’imaginait pas entrer un jour à l’Institut, dans la section « peinture », taquinait déjà les pinceaux au cours de ses études. Mais – elle l’a raconté lors de sa masterclass –, les jurys dédaignaient les gouaches qu’elle leur présentait et leur préféraient ses petits dessins rigolos à la plume dans ses carnets : « Ça, c’est toi ! »
Après s’être longtemps dédiée exclusivement à la caricature et à la satire, la dessinatrice a accepté d’exprimer une autre part d’elle-même (« Je me suis autorisée la tendresse à partir de La Légèreté ») et a diversifié ses outils : Les Grands Espaces sont dessinés au crayon graphite, certaines parties de La Jeune Fille et la mer sont au fusain. Elle n’a pas encore essayé le pastel mais on ne serait pas surpris que ce soit pour un prochain album.
La Jeune Fille et la mer est un livre dans lequel le paysage, la nature tiennent une place prééminente. Dessins à la plume d’une grande minutie, arrière-plans estompés (comme dans la magnifique page 30), couleur délicates (dues à la complicité d’Isabelle Merlet), tout cela relève d’un art qui n’est plus celui de la chroniqueuse satirique. Le format des cases à lui seul témoigne de cette évolution vers un ouvrage d’une autre ambition : on n’y compte pas moins de quatorze dessins en pleine page et plusieurs occupant plus de la moitié de la page. L’art de l’ukiyo-e rencontre ici celui de la BD d’humour. Ces noces étaient inattendues, et elles disent, sans doute, tout ce qui sépare la bande dessinée d’aujourd’hui de celle qu’a connue Bretécher : il n’est plus nécessaire, désormais, de refouler sa sensibilité plastique et son goût de la beauté sous prétexte que l’on ambitionne de divertir.
- La Jeune Fille et la mer, page 35 (détail).
© éditions Dargaud
On peut néanmoins se demander si ce mélange des genres fonctionne et est pleinement satisfaisant. Là-dessus, mon sentiment est partagé. Le mélange des styles ne me gêne pas : je trouve même plutôt plaisant de voir des personnages schématiques et outrés se promener dans des paysages délicats. Le mélange des tons, en revanche, me paraît plus problématique. J’avoue avoir été gêné, à de certains moments de ma lecture de La Jeune fille et la mer, par l’irruption de scènes grotesques, à la vulgarité assumée, au sein d’un récit où la contemplation et la poésie, l’ouverture au beau et à la nature, occupent une telle place. Ces moments de gaudriole, où Rabelais s’invite chez Sôseki, m’ont semblé un peu déplacés, comme relevant d’un autre livre. Ils rompaient le charme.
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9.04
Dans Et pour le pire, le 28e album de ses aventures, qui vient de paraître chez Dupuis, Jérôme K. Jérôme Bloche, le sympathique héros de Dodier, vit deux fois la scène de son mariage : avec une certaine Rebecca, qu’il a sauvée du suicide et qui se révélera passablement toxique, puis avec Babette, l’hôtesse de l’air au caractère bien trempé, depuis longtemps sa petite amie.
Cet album bien construit et mené sur un tempo allègre me fournit l’occasion de revenir sur les autres héros qui ont convolé en justes noces.
Rodolphe Töpffer déjà concluait l’histoire de son Monsieur Jabot par l’union de celui-ci avec la Marquise de Mirliflor, laquelle n’avait pu résister à ce billet élégamment tourné : « Noble Dame ! Vos beaux yeux m’ont incendié la prunelle et je brûle, pour vous, d’une flamme inextinguible. Je mets à vos jolis pieds mon nom, ma fortune et ma main, avec tous les sentiments d’un homme comme il faut, et les avantages d’un amant bien élevé. Un oui ! ou je meurs consumé. »
Les personnages que l’on voit contracter un mariage sont par excellence ceux que l’auteur entend doter d’une biographie et qui prennent de l’âge au fil des épisodes. Par exemple Michel Vaillant, qui en 1974 épouse Françoise dans Des filles et des moteurs, ou Buddy Longway, qui, dès le premier tome de ses aventures, fait un mariage indien avec Chinook.
On se souvient que Blueberry empêche le mariage de Chihuahua Pearl avec Stanton au début de l’album Arizona love, pensant qu’elle lui est destinée. Il obtient ses faveurs mais entend l’élue de son cœur lui dire « Jamais je ne lierai ma vie à celle d’un minable lieutenant de cavalerie ! » Il pense la faire changer d’avis en lui révélant qu’il est riche mais les choses vont très vite se compliquer et il lui faudra renoncer à lui passer la bague au doigt.
Aux Etats-Unis, tant de héros de comics se sont mariés que l’on peut parler d’une tradition.
Passons d’abord en revue les principales noces qui ont émaillé l’histoire du comic strip.
Le vagabond Happy Hooligan, créé par Frederick Burr Opper, épouse Suzanne le 18 juin 1916 ; leur fils portera sur la tête une boîte de conserve plus petite que celle qui constitue l’attribut distinctif de son père.
Dans Gasoline Alley, de Frank King, Walt Wallet épouse Phyllis Blossom le 24 juin 1926. Skeezix, le garçonnet qu’il a adopté en février 1921, est encore à la maternelle. Le couple donnera naissance à un fils, Corky, en 1928, et adoptera encore une orpheline, Judy, en 1935. Phyllis décèdera le 26 avril 2004, à l’âge de 105 ans (c’est alors Jim Scancarelli qui tient le crayon).
Skeezix se mariera lui aussi, avec Nina Clock, le 28 juin 1944, peu avant la fin de la Seconde Guerre mondiale.
C’est le 17 février 1933 (soit moins de trois ans après le début du strip, lancé en septembre 1930) que Dagwood épouse Blondie, qu’il aime d’amour et pour laquelle il accepte de tout perdre : ce déclassement social lui vaut en effet d’être déshérité par ses parents millionnaires. Le mariage conduit à une requalification morale des deux protagonistes (elle a désormais la tête sur les épaules, lui développe un caractère fantasque) et marque le début de la popularité du strip de Chic Young, qui lui permettra de paraître quotidiennement dans plus de 2 000 journaux à travers le monde.
Le preux Prince Valiant célèbre son union avec Aleta le 2 octobre 1946, après qu’il l’ait courtisée pendant vingt mois. Harold Foster a choisi de situer la cérémonie dans une clairière. Trois enfants leur naîtront, dont l’aîné, Arn, accompagnera son père dans certaines de ses aventures lointaines.
Chester Gould marie son Dick Tracy à la blonde Tess Trueheart un jour de Noël, le 25 décembre 1949 (après que la belle ait été maintes fois kidnappée dans les années trente, toujours sauvée par son futur époux). Ils donneront rapidement naissance à une petite Bonnie, mais il faudra attendre la fin des années soixante-dix pour qu’il leur naisse un fils.
Li’l Abner convole avec la voluptueuse Daisy Mae (au physique de Marilyn) le 29 mars 1952. Elle le poursuivait de ses assiduités presque depuis le début du strip, créé en 1934. D’avoir été si longtemps différée, leur union fit événement et le magazine Life y consacra même sa une. A noter : dans les aventures parodiques du détective Fearless Fosdick (ce strip dans le strip est, rappelons-le, la BD préféré de Li’l Abner), ce dernier venait lui-même d’épouser la dénommée Prudence Pimpleton, et c’est à l’exemple de son héros que Li’l Abner avait finalement consenti au mariage auquel il résistait depuis dix-sept ans. Il découvrira peu après que Fosdick ne s’était engagé… qu’en rêve.
Le Fantôme est celui qui aura mis le plus longtemps à se décider : il ne se marie avec Diana Palmer que 24 novembre 1977. Alors dessiné par Sy Barry, le justicier cagoulé créé par Lee Falk et Ray Moore avait fait sa demande six ans plus tôt, et les deux fiancés se connaissaient depuis le plus jeune âge. Mandrake le magicien, sorti de l’imagination du même scénariste Lee Falk, comptait parmi les invités à la cérémonie.
Les mariages ne manquent pas non plus chez les superhéros, dans l’industrie du comic book. Ils donnent souvent lieu à des épisodes assez dispensables, sortes de parenthèses entre deux aventures épiques. Plusieurs ont été réunis dans l’album Mariages Marvel (Marvel France, 2006).
Les trois unions les plus mémorables sont sans doute celles des Fantastic Four, de Spider-Man et de Superman.
Le mariage de Reed Richards et de Susan Storm a été raconté dans les pages de Fantastic Four annual n° 3, en 1965. Leur relation avait déjà connu bien des hauts et des bas. La cérémonie réunissait tous les personnages créés par les auteurs, dont un certain nombre de méchants qui souhaitaient s’opposer au mariage. Kirby et Lee, « deux quidams sans invitation », se faisaient plaisamment refouler. Reed et Susan donneront naissance en 1968 à un fils, Franklin, doué de vastes pouvoirs, puis à une fille, Valeria, qui sera connue sous le nom de Marvel-Girl.
A noter : en décembre 2018, Ben Grimm, un autre des Fantastiques, à son tour épousera Alicia Masters, son amante aveugle (qui s’était précédemment rapprochée de Johnny Storm quand elle avait cru Ben mort). Leur romance, variation sur le thème de La Belle et la bête, connaît donc une fin heureuse.
Peter Parker et Mary Jane Watson se sont rencontrés en 1965 et mariés en 1987, sous le crayon de Paul Ryan, dans Amazing Spider-Man Annual n° 21. Toutefois, dans l’arc narratif intitulé Spider-Man : One More Day (2007), ce mariage n’a pas eu lieu, il a été littéralement effacé par le démon Mephisto.
S’agissant de Lois Lane et de Clark Kent, on retiendra surtout leur mariage advenu en octobre 1996 dans Superman : The Wedding Album (leur fils Jon Kent prendra l’identité de Superboy). Mais il y avait déjà eu plusieurs mariages antérieurs (à la fin des années 1950 et dans les années 1960), tous annulés ou oubliés, et celui de 1996 sera effacé à son tour en 2011 lors du reboot New 52 (Renaissance, en VF) de l’univers DC, avant d’être rétabli dans le comics Convergence et de devenir (pour combien de temps ?) canonique. Je renonce à débrouiller les méandres d’une histoire compliquée à souhait – et je ne parle pas du mariage célébré dans la saison 4 de la série télévisée Loïs et Clark.
Pour finir, retenons que les comics ont connu leur premier mariage homosexuel en 2012, entre le mutant Northstar (de son vrai nom Jean-Paul Beaubier) et l’humain Kyle Jinadu, dans le n° 51 des Astonishing X-Men.
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5.04
Le temps du FIBD, Guillaume Trouillard avait investi le rez-de-chaussée d’une maison qui vient d’être rénovée, place du Palet (en face de la Maison des Auteurs), pour y présenter son travail – le magnifique Les Quatre Détours de Song Jiang, que j’expose en ce moment même à Megève – et y vendre les productions des éditions de la Cerise, toutes designées et fabriquées avec un soin rare.
J’en ai profité pour l’interroger sur la résidence de deux mois qu’il a effectuée à la Villa Médicis, à Rome, fin 2021. Comme l’on sait, il s’agit de la plus prestigieuse des résidences d’artistes, en même temps que d’un symbole du rayonnement de la culture française à l’étranger. Institution créée en 1666, la Villa Médicis a accueilli les plus grands peintres, sculpteurs, architectes, écrivains, musiciens et cinéastes : Berlioz et Debussy, Ingres et Balthus, Marie Ndiaye et Hervé Guibert, Xavier Beauvois et Manon Vernoux. Elle avait ouvert ses portes à Catherine Meurisse en 2015, aidant ainsi la rescapée de Charlie hebdo à se reconstruire. Et depuis 2018, aux termes d’un partenariat signé avec la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image et avec l’ADAGP, elle accueille avec plus ou moins de régularité des auteurs ou autrices de bande dessinée.
François Olislaeger, Céline Guichard, Matthias Lehmann et Isabelle Boinot en ont profité (les deux femmes étant davantage des illustratrices) avant que Guillaume à son tour pose ses valises sur la colline du Pincio. « Je ne connaissais pas Rome. J’ai découvert que je n’avais que quelques minutes à marcher pour aller voir des Caravage. Quel privilège ! »
« A la Maison des auteurs d’Angoulême, l’atmosphère est plus collective. Nous sommes nombreux à travailler sur des projets du même ordre et il y a presque un côté colonie de vacances. A la Villa, en revanche, on a peu de contacts avec les autres résidents. Même les repas ne sont pas partagés, en dehors des petits déjeuners. On m’a demandé d’organiser une présentation de mon travail, mais la date était assez tardive, à deux semaines de ma fin de résidence. Je n’ai pas eu l’impression que la bande dessinée était très familière aux créateurs présents, cependant ils ont manifesté un réel intérêt pour ce que je montrais.
Mon lieu de vie (dans une dépendance située au sein du parc) était aussi mon lieu de travail : je n’avais pas d’atelier séparé.
- © Académie de France à Rome – Villa Médicis
Le projet que j’avais présenté à l’appui de ma candidature était de réaliser la suite d’Aquaviva, le récit muet post-apocalyptique dont trois épisodes ont déjà été publiés sous forme de fascicules. C’est un projet au long cours : je l’ai écrit quand j’étais étudiant aux Beaux-Arts d’Angoulême et j’ai commencé à le dessiner il y a onze ans.
Il pleut beaucoup à Rome en novembre, j’ai donc passé beaucoup de temps penché sur mes planches. J’ai réussi à produire vingt pages, ce qui est un peu moins que ce que j’espérais, mais elles sont venues avec facilité et elles mes semblent denses, abouties. De toute manière, je n’avais pas d’obligation de résultat.
- Aquaviva, planche 146, réalisée pendant la résidence
Ce qui a été très bénéfique, c’était d’être libéré des contingences familiales et éditoriales, de ne pas avoir de contraintes. Evidemment, j’ai été éloigné de mes enfants et j’ai dû mettre les activités des éditions de la Cerise en sommeil. Ce qui fait que maintenant je dois rattraper le temps perdu et que je ne dispose à nouveau plus du temps nécessaire pour travailler sur les huit dernières planches de l’épisode quatre d’Aquaviva. »
Il faudra donc patienter avant de découvrir les planches rapportées de la Villa Médicis.
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1.04
Elles sont quatre dessinatrices travaillant au sein du monde arabe : Lena Merhej à Beyrouth, Nadia Khiari à Tunis, Zainab Fasidi à Casablanca et Deena Mohamed au Caire. Les documentaristes Eloïse Fagard et Lizzie Treu ont eu la bonne idée d’aller les débusquer dans leurs villes, dans leurs ateliers, de les filmer et de les écouter. Le résultat a pour titre Crayon au poing et peut être vu sur le site d’Arte.
Comme le titre le suggère à bon escient, ces artistes sont en lutte, comme femmes et comme dessinatrices.
Lena Merhej, née de mère allemande et de père libanais, a grandi dans un pays déchiré par une guerre civile. Elle s’est réappropriée sa ville détruite en la dessinant. « Très enragée », selon ses propres mots, elle dit dessiner pour se calmer et comprendre les choses. Elle fut, en 2009, l’une des cofondatrices de la revue Samandal, qui paraît toujours et a été couronné du « Fauve de la BD alternative » à Angoulême en 2019.
Elle a aussi signé l’album Laban et confiture, ou comment ma mère est devenue libanaise (éditions Alifbata, 2015).
Nadia Khiari a vécu la révolution tunisienne de 2010-2011 comme une libération. Elle s’est alors mise à publier des dessins sur internet, sous pseudonyme. Bientôt son chat commentant l’actualité a été connu à travers le pays. Un recueil l’a consacré en 2020 : Willis from Tunis, 10 ans et toujours vivant ! (éditions Elyzad). Nadia se bat notamment contre la vision de la femme (« complémentaire » de l’homme) propagée par Ennahdha, le parti islamiste.
Dans une société marocaine encore très patriarcale, Zainab Fasiki est une féministe de combat qui fait scandale en dessinant et peignant de grandes femmes nues (c’est son propre corps qu’elle représente, un peu irréalisé par une peau bleue). On la considère comme une « pute », alors qu’elle-même se voit comme une super-héroïne qui se bat pour le droit de mener une vie libre. Pour son courage et le caractère transgressif de ses créations, la dessinatrice de vingt-sept s’est vue décerner à Angoulême en ce mois de mars le prix « Couilles au cul ».
Autre super-héroïne, mais musulmane et voilée, Qahera fut longtemps le personnage porte-drapeau de Deena Mohamed. Elle intervenait pour protéger les femmes du harcèlement sexuel. Depuis, Deena a publié une trilogie, Shubeik Lubeik, qui mêle la féerie des contes avec les réalités socio-politiques de son pays, et dans laquelle elle utilise les ressources graphiques de la calligraphie arabe. Les trois tomes ont pour titre Aziza, Nour et Shokry. On peut les acheter sur le site de l’autrice (https://deenadraws.art/).
Respect pour le parcours de ces quatre femmes de talent, qui se battent pour s’imposer dans des pays où il n’est pas facile de revendiquer une égalité face aux hommes et où la bande dessinée ne s’appuie, ni sur une longue tradition, ni sur un marché structuré.